Au-delà de cet aspect ovni que le film trimballe forcément en trophée, il faut saluer les partis pris du réalisateur qui utilise cette singularité pour saisir des instantanés sans jamais tomber dans les affres du mélo familial chargé. On peut en effet parler de chronique. Il sera peut-être même très difficile de le réemployer après ça.
Boyhood suit Mason durant quelques douze années de son existence, aux côtés de sa grande sœur mais aussi entre des parents divorcés. Jusqu’à sa majorité, en gros. Au départ, il se fait réveiller à coup d’oreillers dans la tronche par sa frangine qui lui assène du Britney Spears en pleine nuit. A la fin, il s’installe aux côtés de son coloc dans une chambre du campus. Le film était en tournage depuis autant de temps, soit depuis 2002. Les acteurs récurrents sont donc systématiquement les mêmes. Ethan Hawke et Patricia Arquette, père et mère donc. Ellar Coltrane et Lorelei Linklater, frère et sœur. Entre autre.
L’idée de voir vieillir ces acteurs – les parents j’entends – est aussi forte que celle de voir grandir les enfants. Pour les uns, les traits se durcissent, pour les autres ils se définissent. Ce n’est pas tous les jours que l’on verra dans une même projection, une Patricia Arquette quasi au sortir de Lost Highway puis celle qu’elle est aujourd’hui, 46 ans au compteur. Idem pour les jeunes. Que Linklater ait choisi de donner le rôle de Samantha à sa propre fille ajoute quelque chose de fort dans sa fascination pour la transformation à l’écran, que seul le temps peut vraiment représenter. Plus que le maquillage ou les relais d’interprètes. Lorelei Linklater pourra se voir grandir durant toute sa vie à l’écran, dans une fiction, comme le pouvait Jean-Pierre Léaud via Doinel par exemple. Mais cette fois-ci dans un seul film.
Après, Boyhood s’intéresse plus particulièrement à Mason. Il cartographie quelques banalités de son évolution. Entre déménagements (le film me faisait au départ beaucoup pensé au sublime Tendres passions de James L. Brooks) et interactions avec ses parents ou les enfants de son âge. Voyages dans la GTO de son père. Tendres moments isolés avec sa mère. Puis plus tard, cette passion solitaire pour la photo. Les premiers flirts. Rien de mémorable au sens spectaculaire du terme. Le film n’est qu’une somme de ces instants, plus ou moins passionnants d’ailleurs, plus ou moins bien écrits aussi. Mais c’est l’équilibre de l’ensemble qui compte et il faut reconnaître que pris dans sa globalité, c’est superbe.
Boyhood m’a par ailleurs fait penser à un film de James Benning, Casting a glance. Leur démarche, qu’importe si les idées formelles et matérielles sont éloignées, sont similaires. Benning a en effet filmé une spirale de cailloux sur un lac pendant quarante ans. Tous les deux ou trois ans, quelque chose comme ça. Le film proposé n’est qu’une succession de plans de cette jetée, qui se transforme continuellement, apparaissant ou disparaissant au fil du temps, suivant le niveau des eaux. Chez Linklater, ce sont les coupes de cheveux qui guident les ellipses, les maigres changements des visages, les quelques modifications de l’environnement du jeune homme. Dans les deux films, on ressent comme rarement cet impondérable continu, cette impression que le temps, même dilué dans une certaine quiétude (je trouve que le Linklater est un film hyper apaisant, je ne m’attendais pas à ça), prend des allures frénétiques, renforcé ici dans un magnifique autant qu’il est bref dialogue parental et la détresse d’une mère qui se rend compte que tout a filé sans qu’elle ne s’y soit réellement préparé. Evoquer la mort de cette façon-là prouve une fois de plus l’humilité et la lucidité de ce beau geste de cinéma. Il faut à tout prix que je me jette sur sa fameuse trilogie.