Faire de l'ordinaire un exceptionnel. Filmer le temps qui passe. Faire de nous, spectateurs anonymes, les acteurs principaux de son film. Telle est la prouesse de Richard Linklater, qui captive à chaque instant. Boyhood dure pourtant 2h45. Mais on ne les voit pas passer. Et sans une seule péripétie, au sens classique du terme. Pourquoi?
Je pense que le procédé en lui-même fascine. On a constamment envie de voir comment il va grandir, notre Mason.Et l'intérêt du film se fait sentir à mesure que les années avancent: on comprend, progressivement, que Linklater s'est posté en observateur de vie.
Grâce à un montage intelligent, même parfois génial, il tisse une toile cinématographique entre plusieurs épisodes de vie (les ellipses sont tellement subtiles: on passe d'un âge à l'autre sans explications abondantes, simplement grâce à quelques indices discrets mais mis en valeur).
On pouvait craindre que le film ressemble à un album photo. Mais Linklater ne tombe jamais dans le récit-catalogue. Les scènes ne sont pas sans lien. Il y a une cohérence d'ensemble, des parallèles constamment faits entre l'enfance, l'adolescence et le passage à l'âge adulte. On remarque des éléments similaires (la mère, toujours assise à la table avec ses livres) alors que le temps avance. Même constat pour les parents, personnages secondaires parfaitement mis en valeur, chacun ayant son histoire, sa personnalité, et surtout son évolution.
Je craignais également que ce ne fut une ode à la convention. Heureusement, le propos du film n'est jamais normatif. Linklater observe, constate, et dénonce, parfois (la figure du père, au départ si épris de liberté et d'indépendance, mais qui finit rangé et matérialiste, comme tout le monde).
La dernière scène est sublime de subtilité et de sensibilité.
En revanche, et c'était peut-être inévitable, le casting laisse à désirer. Patricia Arquette n'a pas là son meilleur rôle, et Ellar Coltrane est plutôt médiocre je trouve). Et si l'ennui n'a jamais fait surface, l'émotion et l'envoûtement sont quasiment aux abonnés absents. La faute à une mise en scène finalement plutôt académique, et certainement au casting et à la direction d'acteurs.
C'est un objet curieux, intelligent, innovant par son procédé, évitant les nombreux écueils qui se présentaient à lui. Mais qui restera, personnellement, dans la catégorie des films curieux et originaux. Ce qui est déjà, en soi, une réussite.

gaspard24
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Films vus en 2015

Créée

le 8 mai 2015

Critique lue 325 fois

gaspard24

Écrit par

Critique lue 325 fois

D'autres avis sur Boyhood

Boyhood
Sergent_Pepper
7

Un rêve : l’histoire du temps.

Boyhood fait partie de ces films à concept qui prennent un risque majeur : se faire écraser par lui en s’effaçant derrière cette seule originalité. Suivre pendant 12 ans les mêmes comédiens pour les...

le 18 janv. 2015

100 j'aime

9

Boyhood
Rawi
7

12 years a child

En préambule, je voudrais pousser un coup de gueule ! Depuis le temps que j'attends ce film, je n'étais plus à une quinzaine près mais ayant l'opportunité de le voir en avant première, je me rends...

Par

le 23 juil. 2014

88 j'aime

39

Boyhood
guyness
7

Une vie de mots, passants

Quand on lance un film expérimental de 2h46 avec une pointe d’appréhension, l’entendre s’ouvrir sur du Coldplay fait soudain redouter le pire. Faut dire que j’arrivais sur un territoire d’autant plus...

le 18 janv. 2015

82 j'aime

17

Du même critique

Les Lumières de la ville
gaspard24
10

L'Amour fait cinéma

Non, non, non. Toi là! Je te vois venir, avec ton air de connaisseur, de chevronné, de celui qui n'a jamais tort, qui a la science infuse! Je te vois venir avec tes "Pour l'époque, c'est vrai que...

le 25 août 2015

12 j'aime

3

Sans adieu
gaspard24
8

Sans personne

Claudette ne supporte pas son chien qui lui colle aux pattes. « Du balai sale cabot » vocifère-t-elle d’une voix qui percerait les tympans du plus sourd des hommes. Il faut dire qu’elle se...

le 4 nov. 2017

10 j'aime

Lost in Translation
gaspard24
8

Insoutenable légèreté

S'il fallait ne retenir qu'une comédie dramatique, ce serait bien celle-là. Deuxième long-métrage de Sofia Coppola, Lost in Translation raconte l'histoire de deux Américains paumés au Japon. Bob...

le 4 avr. 2015

10 j'aime

1