BRAZIL - TERRY GILLIAN (1985))
Revoir le film BRAZIL c'est comme
retourner dans un pays étranger que l'on a visité il y a très longtemps. Film de science fiction inclassable où l'on ne sait jamais si l'on est dans un rêve ou dans un cauchemar. Le film aurait dû sortir en 1984. Mais la production a été cauchemardesque. Il est finalement sorti en France le 20 février 1985. Le film "1984" de Michael Radford est sorti, lui en 1984 avec un John Hurt en Winston Smith aux prises avec la société orwellienne, contrôlée par Big Brother. David Bowie,
lui-même, avait espéré monter un show musical autour de l'œuvre de George Orwell qui, en 1948, avait imaginé le futur 1984. Face au refus des ayant droits, Bowie avait sorti l'album mythique Diamond Dogs avec son portrait mi-homme, mi-chien illustré, par l'artiste belge Guy Pellaert. Nous sommes plongés dans une société castratrice dirigée par une administration plus qu'excessive. La paperasse et les formulaires sont au coeur du film culte de Terry Gillian. Il n'était pas question de tourner un film sur le best seller- qui est l'une de mes références avec la Republique de Platon. Le but était de raconter la vie d'un employé sans aucune ambition dans un monde quasi-soviétique jusqu'au ridicule. L'employé devait être Tom Cruise. Il devait rêver d'une femme aux longs cheveux blonds volant dans les nuages. Il imaginait Madonna dans le rôle. À la suite d'une faute de frappe Buttle / Tuttle, l'univers tout entier va se dérégler. L'employé de bureau est également castré par une mère abusive et ses amies adeptes de chirurgies esthetiques sans limites. Son seul recours est de se réfugier dans les rêves.
Dans ses rêves, Lowry, I'employé devenu Jonathan Pryce, entre temps, s'imagine voler dans une armure de Léonard de Vinci avec un make up inspiré par Bowie. Parmi les nuages, il voit à repetition la jeune femme aux cheveux longs. Échappant à un patron d'usine (Ian Holm) aussi autoritaire qu'inefficace, il finira par rencontrer la jeune femme de ses rêves. Mais elle a les cheveux counts. Elle est camionneuse. Les mésaventures du paresseux lymphatique vont le faire passer d'un minuscule bureau à partager avec un collègue suspicieux et une voiture à une seule place à des relations suspectes avec son seul ami qui vient de torturer un innocent et s'adresse d'une voix paisible à sa fille dont il a oublié le prénom. Le réalisateur interroge. Un nazi en exercice peut il avoir une vie de famille, comme si de rien n'était ? La mode du futur est symboliser par l'absurdité d'une chaussure léopard tenant lieu de chapeau pour la mère abusive. Certains voient dans cette fable sans queue ni-tête des référence aux mesures d'austérité prises par Margaret Thatcher - Le réalisateur américain, né à Minneapolis,
la ville de Prince, a demandé la nationalité britannique en 1968 après avoir rejoint Eric ldle, Terry Jones et Michael Palin à Londres où, avec l'arrivée de John Cleese et Graham Chapman, ils vont fonder Les Monty Pythons. Les Monty Pythons vont faire hurler de rire la planète avec Sacré Gaal (1975), La Vie de Brian (1979) et le sens de la vie (1983).
De son côte, Terry Gillian réalise Jabberwocky en 1977 puis le film Bandits, Bandits, coécrit avec Michael Palin (1980).
Brazil est la première oeuvre d'ambition du réalisateur et raconte les mésaventures d'un paumé au conflit œdipien non résolu dont la rencontre avec l'amour va l'obliger à se surpasser. Dans un monde dystopique on on coupe les têtes qui dépassent. Pour le rôle, il a vieilli le personnage et le fera reagir face à Robert De Niro, Bob Hoskins et une Madonna transfigurée finalement en Kim Greist-
Le film est bourré de références au cinéma expressionniste allemand noir et blanc, transposé dans un univers vert de gris, tant pour les pastiches du Metropolis de Fritz Lang que la scène de l'aspirateur dévalant les escaliers qui rappelle le landau du cuirassé Potemkine. Le samouraï géant sera une référence à l'oeuvre Kagemusha d' Akira Kurosawa (1980) qui s'était illustré avec les sept Samourais dès 1954.
Robert de Niro dans le rôle du plombier en cagoule Tuttle donne au film un côté d'autant plus James Bond que le vrai Sean Connery a été Agamemnon dans le film Bandit, Bandits. Les nains masqués et les vieilles femmes en zombies sont des emprunts aux films d'horreur -avec, peut être, un clin d'oeil à Michael Jackson qui vient de faire entrer le Thriller, le clip de john Landis diffusé pour la premiere fois le 2 décembre 1983 dans le monde du cinéma.
Lowry met un chapeau au-dessus de son imperméable et le directeur de la photo nous envoie dans l'ambiance d'un thriller policier. Pourtant, le personnage confie le chapeau à la femme aux allures masculines. Sans doute pour justifier que c'est elle qui porte la culotte. Elle l'enlèvera après une rencontre avec le Père Noel dans une scène que tout homme a rêvé de vive une fois dans sa vie.
Lorsque Tuttle inverse les tuyaux pour remplir
d'excréments les combinaisons des deux réparateur trop insistants, Lowry devait prononcer le mot Shit, mais il a été censuré par la production et remplacé par le mot waouh. Car la lutte avec la production a été intense pour permettre la réalisation à partir d'une idée remontant à 1976. Comme le film Megapolis de Francis Ford Coppola vu la veille, on ne peut que déplorer les lenteurs à trouver du financement pour, dans les deux cas, réaliser un film entièrement personnel sur l'idée du rêve. Le cauchemar de Brazil commence avec l'explosion d'une vitrine et un speaker dans une television qui continue sa diatribe même avec le téléviseur renversé sur un côté... L'idée forte de Terry Gillian est de déterminer jusqu'où une société peut deshumaniser une amitié. Pire un amour. La fable est forcément amorale, cynique et iconoclaste. Un concept qui n'arrange pas les producteurs plutôt enclins à sortir des film de 390mn qui finisse bien pour faire plus de séances que des films de 3 heures finissant mal. C'est toujours la monnaie qui prime. D'où l'échec du film lors de sa sortie, amputé de plusieurs scènes, puis son succès avec l'avènement des cassettes VHS puis les sorties en DVD avec la possibilité de voir plusieurs versions dont le director's cut. Cela contribuera à en faire un film culte à voir et à revoir. Il faut noter qu'au moment du tournage du film, les ordinateurs n'existaient pas encore, ou presque pas. Moi-même, je n'ai eu mon premier micro-ordinateur Apple 2C qu'en 1983.D'où l'idée surréaliste d'ajouter des loupes - de la taille d'un écran de PC de l'époque au-dessus d'une machine à écrire. C'est une vision distopique d'un futur sous acide qui aurait foiré.
Tout comme les plats commandés par leurs numéros dans le grand restaurant pour finalement ressembler à une boule de purée sortie d'un micro-onde. La scène finale enfin (spoiler) la vraie, celle du director's cut, avec un anti-héros attaché sur un fauteuil avec un environnement fait penser à une scène mythique du film Orange Mécanique.
Terry Gillian a toujours cité Kubrick dans ses références. Sauf que le tortionnaire porte un masque de bébé monstrueux. Le bébé qu'il n'aura jamais. Puisqu'il a été castré par la société, par sa mère, par ses patrons, et collegues, et même la compagne de ses rêves. C'est peut-être sa seule réussite de finalement vivre en permanence dans ses rêves. La scène sera reprise par Zack Snyder dans Sucker Punch (2011). Signe que Brazil est une œuvre de référence. A étudier en détail.