Super Mario dans le journal.
Brazil c’est un peu comme un toboggan, aquatique, parce que j’aime bien l’eau, en plus je nage super bien, c’est tellement beau à voir, je suis tellement gracieux… Hum…
Un toboggan aquatique de plus de deux heures donc (je vous cache pas qu’il est fortement possible que vous ayez repeint l’intérieur du tube de la couleur du joli mélange qui remplit votre système digestif avant la fin), deux heures de descente fulgurante dans la folie, se concluant violemment. Une conclusion assommante, un peu comme si Super De Niro m’avait attendu à la sortie, non pas pour me filer un bon tuyau, mais pour me filer un bon coup de tuyau et faire repartir ma tête, mon esprit vers la folie industrielle qu’est Brazil.
Je glisse donc dans les tuyaux qui pullulent dans cette société totalitaire, tel un phoque sur la banquise, je passe devant des immeubles vertigineux, devant des chantiers déprimants, devant des gens tellement étrangement sapé que cela me choque, et finalement mon tuyau débouche dans l’appart’ d’un pauvre type qui semble avoir des problèmes avec la domotique qu’on lui a promis si efficace. Pourquoi mon tuyau débouche ici, je ne sais pas, le hasard du destin ? Peu importe j’y suis maintenant c’est qu’il y a une raison. M’enfin moi je m’en fous, tout ça m’intrigue.
Sam Lowry, puisque c’est ainsi qu’il s’appelle, n’a pas le temps de manger le matin parce qu’il est en retard, et vous savez pourquoi il est en retard ? Parce qu’il s’est réveillé trop tard, et vous savez pourquoi il s’est réveillé trop tard ? Parce que c’est un humain normal, et c’est ça qui le rend attachant (en plus du fait qu’il s’appelle Sam et que ce nom, pour une raison qui m’échappe, attire ma sympathie, Sam hein, pas Samuel, juste Sam).
Rien ne le destine à se rebeller, et pourtant, cet homme, Sam, va devenir un martyr le temps d’un film, forcé de se révolter, Sam Lowry court pour sa vie, court pour son amour et pour ses idées.
Pourtant son quotidien paraissait normal, sa vie semblait tracée… Peut-être est-ce le problème.
Sam Lowry court donc pour ses rêves, rêves que l’on ne partage pas, course que l’on partage. Très vite il se profile comme la représentation plus ou moins fidèle de la marginalité, du refus arbitraire de l’arbitrage, de la rébellion.
Nous sommes entrainés dans une course sans fin, une révolte solitaire que l’on sait inutile. On suit Sam Lowry, conscient de toutes les merdes qui vont lui arriver, contrairement à lui.
Il vit dans un monde faux qu’il croit solide et juste alors qu’un claquement de doigts, un bug informatique suffirait à faire basculer cette droiture si encrée en apparence.
Nous comprenons tout ce qui se déroule, nous saisissons toutes les références disséminées dans ce monde fou, quand l’aspirateur tombe des marches, nous ne pouvons nous empêcher de comprendre l’écho que fais l’époque sous régime totalitaire durant laquelle est sorti le Cuirassé Potemkine. Nous savons Lowry destiné à une issue radicale, pourtant nous le suivons, nous sommes certainement obligés. Nous nous raccrochons à la moindre pointe d’humour présente involontairement dans ce monde morne et ennuyeux. Et non, Brazil n’est pas drôle.
A l’image du début de ma critique qui pouvait sembler sympathique (je pense, j’espère), l’apparence de Brazil l’est peut-être. Cependant, une histoire tragique, racontée par un comique, n’en reste pas moins tragique. Gilliam nous permet juste de nous raccrocher à la réalité et à la joie par quelques drôleries, entre deux moments d’intense sensation d’étouffement.
Brazil m’a fait peur, je ne l’envisageais pas comme ça, mais il m’a fait peur, bien plus que beaucoup de films destinés à le faire.
Ma question : si une telle chose arrivait, si notre société évoluait ne serait-ce qu’un peu, et devenait semblable à celle du monde gilliamesque de Sam Lowry, que devrait-on faire ?
Attendre de mourir, et tels des moutons, suivre les règles toute notre vie ? Vivre inutilement ?
Dénoncer les travers d’une société qui tient sur un fil, au risque d’y laisser sa vie ? Vivre honorablement ?
Ou bien rester dans un tuyau ? Ne pas vivre ?
La réponse est vite vu, la réponse D, rallier le Brésil le temps d’une chanson, croire en ses rêves et non pas en ses interdits.
♪ Braziiiiil ♪
Jamais un film ne m’aura autant ému.
Jamais un film ne m’aura autant choqué.
Jamais un film ne m’aura autant marqué.
Jamais je n’aurai autant aimé un film.