Que dénonce Brazil ? À première vue, la réponse est simple, tout ce qui se rattache dans le film à une adaptation de 1984 laissant peu de place au doute quant à ce que pense Gilliam des mécanismes totalitaires. Pourtant, cinq ans après L'Empire Contre-Attaque, une scène plonge le spectateur dans le même doute que celui de Luke Skywalker lorsqu'il découvrait en retirant le masque d'un Dark Vador fantasmé que le supprimer ne causera que sa propre perte : Sam Lowry, étincelant et angélique, se bat contre l'allégorique samouraï, armure monstrueuse et décor surréaliste évoquant les meilleurs plans de Metropolis, pour découvrir derrière le masque son propre visage.
Cette scène peut servir d'ouverture vers toute une interprétation du film où notre personnage principal, si l'on n'ira pas jusqu'à le rendre seul responsable de sa situation, a au moins sa part de blâme. L'omniprésence du gris à l'écran pourrait même en devenir une conséquence du point de vue de Sam, ce personnage ayant perdu toute ambition envers la vie, et de ce fait n'hésitant jamais à se réfugier dans son propre esprit, quitte à perdre toute perspective sur la réalité. Son fantasme ? Une terroriste propre à détruire ce monde qu'il n'accepte que par dépit, et tant pis si en réalité cette femme n'en est qu'une parmi d'autres, essayant simplement de survivre dans ce monde hostile à toute valeur humaniste. Un combat probablement jugé par cet esprit rêveur comme trop fade, l'absurdité du monde se devant d'être combattue de manière au moins également absurde.
Un esprit qui fantasme à tout bout de champ, où le brésil est un ailleurs qui, à l'image du mythe de la sirène, attire dans sa spirale pour ne jamais laisser repartir. Une pensée stérile qui expliquerait que la femme idéalisée parle de nécrophilie lorsqu'il s'agit de pleinement la consommer (le fantasme, outil permettant d'avancer, devenu pulsion de mort), ou encore expliquant la présence de la plus grande star de cinéma au monde pour venir sauver notre pathétique héros. Une star devenue image, sans aucune réalité concrète à en croire la scène du rêve qui la fait disparaître sans laisser de trace.
L'absence de père (ou quand le ministère "MOI" - freud alert - le remplace purement et simplement), la figure de la mère (- freud alert x 1000 -), l'aspect ambiguë de l'imagerie de Noël (capable aussi bien de réunir les peuples que de plonger les individus dans une sur-consommation déshumanisante), les tentatives d'échapper à sa propre identité (tout le jeu sur la chirurgie esthétique, ou encore ce plan)... Tout ça nous pousse à considérer l'univers du film, plutôt que comme une fiction un peu trop proche de notre réalité, comme le point de vue d'un homme qui se laisse prendre dans cette vision dystopique, et de ce fait ne peut transformer le monde à son échelle. Seule solution face à cette impuissance : l'isolation volontaire comme acte de résistance. Brazil navigue dans ces eaux dangereuses où la dénonciation est réelle, mais mise en perspective afin de mettre en garde son spectateur contre des solutions simplistes. Les dernières secondes du film ne laisseront personne indifférent, et le rêve de Sam Lowry laissera rapidement place à la réflexion.