Contrairement à ce que l’affiche pourrait laisser croire, Brooklyn n’est pas une grande histoire d’amour.
Contrairement à son titre, ce n’est pas un récit à vocation historique sur l’immigration, sur la condition féminine dans les années 50 ou sur l’émancipation.
D’ailleurs l’héroïne Eillis est un personnage presque insignifiant, qui peine à prendre des décisions et se retrouve toujours à vivre sa vie un peu au petit bonheur, parce qu’elle est assez malléable, capable de s’adapter et de laisser son environnement la former.
Du débat à l’issue de la cinexpérience, on a pu constater que les principaux reproches faits au film concernaient le manque de vision politique ou critique, et le manque d’ambition ou de volonté de Eillis.
Ça et bien entendu le fait d’avoir voulu restreindre la séance aux filles, renforçant notre attente quant au message qui pourrait nous parler davantage qu'à ces messieurs.
Effectivement, le film n'est pas sans défaut.
Des maladresses, certes, et même dans la réalisation certains choix sont un peu trop appuyés pour faire mouche: des fixations sur le visage perdu de l’héroïne, une porte qui s’ouvre sur une lumière aveuglante style “bienvenue au paradis”, une fille qui entre dans un bureau et annonce “je vais vous organiser tout ça en 2 heures” … ça ne joue pas pour une réhabilitation du métrage.
Mais Brooklyn n’est pas qu’un amas de maladresses, et pas réellement une romance “déjà vue”, ça ressemble effectivement à beaucoup d’autres histoire, ça sonne le déjà vécu et pourtant il y a des éléments qui permettent de lui trouver un intérêt.
D’abord l’héroïne: elle n’a pas beaucoup de personnalité et se laisse voguer, donnant l’impression de subir en permanence les idées des autres.
C’est un peu frustrant, mais est-ce forcément plus faux qu’un héros hyper entreprenant et hyper sûr de lui? Un film doit-il forcément suivre une personne qui a un message, quelque chose à défendre?
J’ai l’impression en ayant écouté les différentes interventions lors du débat que c’est surtout ce qu’on attend du cinéma qui fait qu’on juge le film différemment.
Personnellement je n’en attends pas spécialement de message, je me contente de souhaiter passer un bon moment sans trouver le temps long, et peu importe si ça me fait réfléchir ou non, certains films n’appellent pas de réflexion particulière mais m’emportent quand même, le tout c'est de trouver un point auquel se raccrocher pour apprécier le voyage..
L’histoire (ou les histoires) de coeur de Eillis: d’après moi on est très loin de la romance et on a même une construction presque inovante par rapport aux comédies romantiques.
D’abord Eillis ne semble jamais vraiment accroc à son copain, elle aime surtout le fait d’avoir de la compagnie, quelqu’un avec qui partager un peu tout et n’importe quoi, un compagnon qui se fait sa place lentement dans sa vie, et pour lequel elle se découvre un attachement de plus en plus grand.
On est loin des films qui nous vendent de grands élans amoureux à base de coup de foudre et de fougue. Brooklyn préfère là aussi jouer la carte de l’indécision: Eillis fidèle à elle même n’est pas la fille qui se lance à corps perdu dans sa vie, et quelque part on peut trouver dans cette retenue une cohérence.
Ce manque de chaleur vis à vis de Tony se fait plus cruel encore quand rentrée en Irlande elle refuse d’ouvrir ses lettres, comme une manière de laisser entre parenthèse la vie américaine, comme une façon de retrouver sa liberté d’enfant vivant chez sa mère.
On comprend mieux alors pourquoi elle peut se permettre de flirter avec Jim, parce qu’elle essaie d’imaginer sa vie sans retourner en Amérique.
Le grand sujet du film et celui pour lequel il aurait pu être meilleur encore, c’est le déracinement.
Pour moi le vrai problème de Eillis, la vraie raison d’être du film ce n’est pas de nous faire vivre une vie formidable des années 50, ce n’est pas de nous dire que tant qu’on n’est pas mariée on n’est rien ni personne.
Non le film tente de nous dire que la vie est une succession d’abandons, de découvertes et de souvenirs.
En quittant l’Irlande, Eillis découvre à quel point être loin de chez elle lui pèse, puis elle construit un peu au hasard une vie qui ne la fait pas palpiter non plus, qui est loin du rêve américain, mais qui peu à peu s’aménage.
De temps à autre, son passé la ramène à la réalité de l’éloignement, et quand elle rentre chez elle, l'insouciance de son enfance, les sorties entre amis, sa famille se retrouvent idéalisés: elle se sent mieux qu’elle ne l’aurait jamais été si elle n’avait pas bougé.
Ce n’est qu’après avoir profité de ce bonheur retrouvé qu’elle se rendra compte que la vie qu’elle a commencé à construire à l’autre bout du monde est aussi devenu sa réalité, qu’elle n’est plus totalement chez elle ni d’un côté ni de l’autre de l’océan.
Là dessus, je regrette que la conclusion du film use d’un artifice un peu facile:
ce n’est pas la culpabilité d’avoir abandonné son mari qui la fait rentrer à Brooklyn, ni le sentiment d’avoir “coupé les ponts” avec son ancienne vie, ou la peur de s’enfermer dans une vie “pour prendre la place de ma soeur”. Il y aurait eu assez de matière pour expliquer son choix, mais on a préféré un artifice un peu facile du chantage, sur lequel on vient saupoudrer un happy ending un peu trop simple.
Parce que jusque là elle n’a pas montré spécialement d’attachement pour Tony, et d’un seul coup on a l’impression qu’elle a découvert l’amour.
Cette fin est une déception et le film se trompe dans son traitement du retour au pays, parce qu’on aurait aimé mieux sentir le tiraillement entre son enfance et sa nouvelle vie et qu’on ne le devine qu’à peine.
Ce sujet du déracinement avait beaucoup de potentiel, et c’est sur cette base que le film a trouvé son créneau malheureusement pas toujours bien exploité.
D’ailleurs l’héroïne qui doit dire adieu à son passé vit un double abandon: géographique puisqu’elle quitte un pays pour un autre, et familial puisqu’elle quitte le cocon pour se construire ailleurs,
la coupure se faisant encore plus sentir avec la perte de sa soeur, et le “ce ne sera plus jamais comme avant”.
Une évolution assez universelle en fin de compte.
Alors oui Eillis est passive, oui le film à des défauts, on l’oubliera sans doute assez vite, n’empêche qu’il n’est pas totalement inintéressant, et qu’en plus les costumes, décors, lumières, acteurs et accents ne sont pas si mauvais.