« Tout porte à croire qu'il existe un point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et l'avenir, le haut et le bas, le communicable et l'incommunicable cesseront d'être perçus contradictoirement. » Cette citation d’André Breton m’a longtemps hanté, surtout pendant mes études de lettres, car non seulement elle mettait en lumière un élément fondamental du fonctionnement de notre inconscient que j’avais pressenti mais jamais verbalisé, mais en plus elle me permettait de mieux saisir la complexité de nombreuses œuvres littéraires.
Dans le cas du film Bruno Reidal - Confession d’un meurtrier, elle est plus qu’éclairante : le meurtre et la sexualité se retrouvent liés dans son esprit au point de s’intervertir, si bien que la source féconde du plaisir et de la jouissance du jeune et innocent Bruno Reidal est constituée de sperme et de sang – ce qui me rappelle le Journal du voleur de Jean Genet : « Niant les vertus de votre monde, les criminels désespérément acceptent d'organiser un univers interdit. Ils acceptent d'y vivre. L'air y est nauséabond : ils savent le respirer. Mais - les criminels sont loin de vous - comme dans l'amour ils s'écartent et m'écartent du monde et de ses lois. Le leur sent la sueur, le sperme et le sang. » Étrange correspondance avec notre film en question. Sortons un peu des carcans et attardons-nous un peu sur ces deux figures.
Bruno Reidal est issu d’un milieu paysan pauvre et rude. Son enfance est marquée par des traumatismes qui définiront ses luttes psychologiques internes et son isolement, qui l’ont placé en marge de la société. Jean Genet a lui aussi vécu une enfance difficile, marquée par l'abandon, la délinquance et la prison. Il a souvent exploré dans ses œuvres la marginalité et la transgression.
La vie de Reidal est définie par un acte de violence extrême, motivée par des pulsions qu’il ne comprend pas entièrement, ce qui l’isole davantage. De même Genet, quoique vierge de violences physiques extrêmes, a goûté à la brutalité, au crime et à la rébellion contre les normes sociales.
Reidal évoque dans ses confessions ses pulsions sexuelles conflictuelles, qui sont intimement liées à son acte criminel. Le cinéaste veut démontrer que le refoulement de son homosexualité l’a condamné au crime. Genet lui est un homosexuel assumé qui a souvent exploré la sexualité, le désir et la subversion des normes sexuelles dans ses œuvres.
Le cas psychologique de Reidal a fasciné les experts, car il oscille entre culpabilité profonde et tentative de compréhension de ses actes. Il cherche à expliquer son comportement tout en étant conscient de sa monstruosité. Quant à Genet, il joue souvent dans ses œuvres avec les notions de culpabilité et d'innocence. Les criminels et marginaux qu’il dépeint ne recherchent pas forcément la rédemption, mais ils interrogent la société sur ce que constitue réellement le crime.
S’ils avaient dû se rencontrer en cellule, Genet aurait-il pu sauver Reidal ?
Revenons-en au film à proprement parler. En s’appuyant sur les véritables confessions du garçon, rédigées à la demande d’un trio de médecins, Vincent le Port construit un récit à la fois austère, en raison d’un dépouillement formel et de sa froideur clinique, et riche, mêlant flashbacks, voix off et interrogatoires. Avec un protagoniste magnifiquement interprété par Dimitri Doré, très bien travaillé par le cinéaste, tant sur la posture (épaules de guingois, dos courbé) que la voix (accent, débit), incarnant un jeune paysan, personnage complexe, tourmenté depuis la prime enfance par de violentes pulsions, Vincent le Port filme en arrière-plan une époque dure où les souffrances, les manques, l’absence d’amour, les interdits, la violence latente donnent naissance à des êtres inquiets et tordus. L’atrocité qu’il nous montre reste d’abord hors-champ, avant de s’imposer à nous dans son horrible matérialité, plaçant le spectateur dans une position très inconfortable.
Bien que le réalisateur se serve excessivement d’une lecture psychanalytique pour saisir l’acte de Reidal, en devenant redondant et optant pour un ton parfois didactique, il parvient, comme il le dit si bien, à « épouser l’horreur pour la réfléchir sans forcément la comprendre ».