On est fait comme des rats

Cachés sous la capuche

Putain y a des fois

J'voudrais juste shooter

Au hasard de la foule

Juste une balle dans la tête

Dans la mienne ou la tienne

Arrêter la tempête...

[Damien Saez - Rotweiller]

Particulièrement difficile à dénicher au Japon, les armes à feu restent une forme de fantasme absolu pour certains natifs qui rêvent de les manipuler, voir de les chérir comme dans le sublime poème symbolique Des Armes rédigé par Léo Ferré et mis en musique et enregistré quelques années plus tard par le groupe bordelais Noir Désir. Afin d'achever sa thématique urbaine et l'aliénation sociale qui en découle, Shinya Tsukamoto filme une nouvelle fois Tokyo comme la mégapole de tous les vices et de toutes les folies.

Suite au suicide de sa petite amie, Goda traine son désarroi dans les rues et croise Chisato, une jeune délinquante névrosée qu'il a récemment sauvé d'un suicide. Violemment molesté par les amis de la jeune femme, Goda façonne une arme à feu artisanale et arpente les rues de la ville, habité par une ferme et radicale intention de "justice"...

Retrouvant le noir et blanc de Tetsuo, Tsukamoto s'inspire ici des nombreuses agressions commis par les jeunes tokyoïtes qui ont régulièrement fait la une des médias au cours des années 1990. Pour analyser le problème, le cinéaste se glisse une nouvelle fois dans la peau d'un salary man qui pète une durite, obsessionnellement prêt à shooter sur tout ce qui lui semble injuste face aux valeurs nipponnes. Une sorte de Violent Cop, réalisé en 1989 par Takeshi Kitano, qui aborde plus ou moins le même sujet.

La jeunesse profondément égarée de Bullet Ballet se divise en deux parties bien distinctes, celles et ceux qui tentent de survivre en provoquant avidement une forme de violence radicale et celles et ceux qui préfèrent jeter l'éponge, à l'image de Chisato, obnubilée par la mort et sublimement incarnée par Kirina Mano (vue dans Tokyo Eyes et Charisma) qui a malheureusement cessé sa carrière à l'aube des années 2000.

Sans être pour autant une œuvre narrant une quelconque fracture générationnelle, Bullet Ballet démontre cet avide besoin d'exister face à une société déshumanisée. En proposant le portrait d'un homme qui perd tous ses repères dans un univers social et sociétal qu'il ne comprend plus, Tsukamoto touche du doigt le problème majeur d'une brulante actualité désormais mondiale. Le film aurait pu être réalisé hier qu'il n'en serait pas moins efficace.

Une grande (très grande) œuvre cinématographique à mes yeux.

candygirl_
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le 14 juin 2023

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