8 ans après son complexe Poetry, Lee Chang-dong nous revient cette année à Cannes avec Burning. L'histoire est celle de Jongsu (Yoo Ah-in), un fils d'agriculteur vivant de petits boulots qui tombe un jour par hasard sur Haemi (Jeon Jong-seo), une jolie amie d'enfance qu'il avait pourtant oubliée. Après l'avoir séduit, elle lui demande de garder son chat pendant son voyage en Afrique. À son retour, elle est accompagnée par Ben (Steven Yeun), un riche et mystérieux Coréen rencontré au Kenya sur le chemin du retour.
C'est cette fois sur la base d'une short story de Murakami ("Barn Burning" paru dans le recueil "The Elephant Vanishes") que le réalisateur de Peppermint Candy a jeté son dévolu. Il en garde l'idée principale et l'agrémente d'un grand nombre de thèmes, souvent actuels. De la complexité et de la richesse, Burning n'en manque pas, comme pour ses films précédents. Le film se structure sur l'écart social entre Jongsu et Ben, de la frustration qui en naît. Frustration sexuelle aussi après le premier ébat entre Jongsu et Haemi, et l'obsession qui s'ensuit. Cryptique, le réalisateur se permet même d'agrémenter l'intrigue d'éléments du "Barn Burning" de Faulkner ("L'incendiaire"), évoqué plusieurs fois par les personnages et dont subsiste ici l'intrigue liée au père de Jongsu, dont le procès pour agression est un des fils rouges du film (à comprendre, la filiation de Jongsu fera-t-elle de lui aussi un homme violent ?).
Croyance, jalousie, points de vue, persuasion, frustration, obsession, chômage, lutte des classes, relations hommes-femmes... Autant de couches que Lee empile savamment les unes sur les autres jusqu'au final en forme de point d'interrogation. Pourquoi et surtout "est-ce" vraiment ? Burning a tout d'un grand: il laisse le spectateur observer et décider de son propre chef parmi ses dizaines de pistes et embranchements. Une structure presque organique.
Révélation, Jeon Jong-seo est splendide en candide sensuelle et libertine. Une jeune actrice à suivre de près, sans aucun doute. À ses côtés, Yoo Ah-In est en progression générale et même si on retrouve parfois dans sa diction des relents pas du tout bienvenus de ses cabotinages de tête à claques jet-seteur de Veteran (2015), qui ne vont pas du tout dans ce rôle-ci, il s'en sort tout de même correctement. Steven Yeun, tout en sobriété, est surtout à saluer pour sa performance intégralement en coréen, alors qu'il avait perdu l'usage courant de sa langue natale, ce qui est de bon augure pour la suite de sa carrière coréenne.
Mais ce qui crève définitivement l'écran dans ce Burning, c'est la mise en scène de Lee Chang-dong. Le réalisateur coréen parsème son film d'indices visuels et de symboles, faisant jouer le cadre, la profondeur de champ en s'attardant au détour d'un plan sur un détail, sur un arbre, une expression, un sourire, pour nous orienter dans son labyrinthe de mensonges et de faux-semblants. On pourra aussi se poser de nombreuses questions sur le titre du film, tant la frustration du spectateur de ne finalement ne jamais être vraiment témoin de ce dont il est question pendant très longtemps nous rapproche de Jongsu, dont la frustration est une des clés de l'intrigue.
La longueur du film (2h28) n’est jamais un problème tant chaque plan, chaque scène racontent quelque chose et regorge d'indice.
Lee Chang-dong livre sans conteste l'un des meilleurs films de sa carrière, peut être le meilleur, un film qui laisse pantois, avec une délicieuse frustration quant au final qu'on n’avait pas ressentie depuis très longtemps dans une salle de cinéma. On sort obsédé, on refait le film mille fois dans sa tête, avant d'arriver à la seule conclusion possible : il faudra revoir de nombreuses fois ce Burning.
Chef d'oeuvre.