Il est de ces films ou l'incompréhension n'empêche en rien l'appropriation et rien que pour cela, on a envie de crier au coup de génie, d'évangéliser ce film énigmatique, qu'il atteigne notre entourage, nos proches, pour que quelqu'un puisse enfin nous donner le change, nous contredire ou nous appuyer car, qu'ils soient positifs ou négatifs, les retours allumeront inévitablement la mèche d'un débat passionné. Buster's Mal Heart fait parti de ces films. Inévitablement clivant sur le fond, ne laissant personne indifférent, ils possèdent la force hypnotique du puzzle visuel à l'ambiance Lynchienne pesante, comme un certain Donnie Darko en son temps.
Dans cet enchevêtrement temporel se débat un Rami Malek impeccable de ses rêves à ses cauchemars, de ses espoirs à ses désillusions. Tantôt Buster, vagabond solitaire, en marge du monde, profitant de luxueux chalets en montagne inoccupés une grande partie de l'année, tantôt Jonas, père de famille travaillant de nuit à la réception d'un hôtel, épuisé mais déterminé à porter sa femme et sa fille vers d'autres aspirations, sortir d'une société, d'une vie dans laquelle il ne se reconnait plus. Et de l'un à l'autre subsiste un malaise latent, un poids, une sensation d'inachevé, comme si leur volonté respective de liberté et de bonheur étaient deux droites parallèles; s'obstiner à les faire se rencontrer est une perte de temps. Buster et Jonas représentent les deux faces d'une pièce de monnaie, tournoyant rapidement sur la tranche, décrivant sous l'effet de la vitesse, une sphère éphémère en mouvement qui finirait inévitablement par s'arrêter sur l'une de ses deux faces, à moins qu'elle ne soit qu'un dessin sur une immense baie vitrée.
Dans ce film mystérieux aux interprétations multiples, la temporalité illustre à mon sens la dualité de cet homme aux prises avec ses choix profonds incarnés par différents personnages. DJ Qualls, rarement fascinant mais facilement identifiable, s'approprie ici le titre de "dernier homme libre" et en profite pour livrer une prestation timidement et verbalement hallucinée.
Derrière la caméra, Sarah Adina Smith. La réalisatrice sème ses indices comme un jeu de piste sous la lumière blafarde et jaunie d'un hôtel, dans la brume grisâtre des forêts de résineux ou sous le soleil agressif d'un esquif perdu au milieu de l'océan, et nous entraîne dans la folie prophétique d'un Rami Malek à bout de force physique ou mentale, à l'aube de sa deuxième inversion, sous un air électronique torturé et presque cauchemardesque de Mister Squinter.
Buster's Mal Heart est une énigme intime mise en image avec brio. Un choix, un renoncement, une acceptation lorgnant vers le fantastique pour décrire dans un puzzle, les doutes d'un homme à la recherche de sa raison d'être dans le monde.