Bise anti-hommes : le vampirisme féministe.
Neil Jordan confirme ici qu’il est bel est bien l’un des derniers artisans du film fantastique. Ou quand faire du cinéma fantastique traitant de thèmes pourtant typiques et balisés donne un résultat fin et empreint de suggestibilité ; sans numérique, débarrassé de la majorité des écueils, sensuel, mais surtout mélancolique et troublant.
On est clairement dans la conclusion d’un triptyque sur la perte de l’innocence ayant débuté avec la Compagnie des Loups, suintant la cruelle entrée dans l’âge adulte comme Entretien avec un Brad Pitt reniflait le romantisme déchirant face à un passé lourd d’erreurs et de pertes douloureuses —pour ne pas parler de deuils à multiples niveaux.
On est clairement dans une continuité, une constance dans la peinture d’une sensibilité féminine juste et entière. Un aspect qui saute aux yeux sur Company of Wolves, se ressent largement sur Interview et se confirme dans le féminisme admiratif de Byzantium.
Et j’aime beaucoup cette touche ; rare chez un cinéaste à quéquette.
Formellement, c’est encore impeccable de la part de l’irlandais. On baigne dans l’air marin comme on plane dans l’Éire humide. Superbe photo, superbes plans imprégnés d’une mélancolie secrète, ineffable. Il est question de vie éternelle au détour d’un plan où le regard s’attarde à (re)lire le passé, et de fuite en avant consumant un présent à peine gouté qui se dilue dans une luminosité urbaine toujours lointaine ou morne. Et l’apparition de l’hôtel —le Byzantium— dont l’enseigne de néon jaune jurant avec la nuit semble faire figure d’écran titre au bout de vingt cinq minutes, c’est le genre de composition que je savoure. Mais ce qui est intéressant pour un film de vampire, c’est que l’on retient plus particulièrement les plans de jour. Rarement ensoleillés, éclairés par le prisme des intempéries, à l’occasion d’un interstice, aux détours d’un rayon transperçant avec effort. Du contre jour pour du contre nature, de la faiblarde, du blafard, du menaçant : la lumière d’un pays sauvage foulés par des destins torturés.
On appréciera aussi l’emploi des fenêtres ou des vitres, qui cachent plus qu’elles ne montrent, relevant paradoxalement la vérité sous les apparences.
Sinon, Jordan s’auto-cite aussi. Il s’amuse avec les codes et l’imagerie du vampirisme un peu comme il l’a fait sur Entretien, balayant croyances et règles (reflets dans les miroirs, vie diurne, abandon des thématiques judéo-chrétiennes) ; déstructurant le mythe pour mieux se l’approprier. Pas de canines, de crucifix, d’ail, mais beaucoup de romantisme et de sensualité. On reconnaît ainsi le même regard —la même fascination ?— sur des créatures ayant embrassé la mort avec la vulnérabilité d’une vierge émue aux larmes, aux sens et sensations exacerbées, renaissant, mortes, pour appréhender la vie avec une intensité et une exhaustivité qu’aucun être vivant n’égalera jamais. D’ailleurs, Sam Riley cite au mot près la description de Louis à propos de ses nouveaux sens après sa transformation ; clin d’œil ou lien.
Si une grande partie de la distribution ne branle pas grand chose (Aterton est bien bonne mais elle fait pas le ménage, Riley fait une tête de Ian Curtis, Lee Miller cachetonne) on retient surtout Saoirse Ronan. Sorte de penchant féminin de Louis, torturée et romantique sans le côté pleurnichard. Lunaire, elle traverse la pellicule avec la tristesse d’un spectre que son remarquable regard mélancolique, étrange et intemporel, nourrit d’une lueur bleue-verte, presque magique. Évoquant à la fois Rosaleen de la Compagnie des Loups (autant pour son effroyable rencontre du mâle que pour sa capuche rouge) et Claudia (pour son statut presque blasphématoire et son Oedipe renversé), le personnage de Eleanor constitue un meilleur narrateur que Louis, plus fiable et moins égocentrique (et nian-nian), mais surtout porté avec toute la mystique et la fragilité qu’une femme pouvait offrir au rôle.
Byzantium bénéficie d’un savoir faire artistique indéniable, et s’inscrit dans une démarche cohérente, certes ; dommage cependant qu’il traine quelques casseroles jurant avec le niveau général. Ou quand de sombres histoires de confréries crétines et lacunaires associées avec une poignée de personnages (interprètes ?) secondaires à tarter sur place gâchent le savoir faire et les efforts ambiants. Quel gâchis d’endormir son monde sur une « mythologie » feintée quand on apprécie cette narration amenant les réminiscences d’une vie lointaine avec autant de romantisme et de fluidité ; rappelant un peu cette façon dont les souvenirs étaient introduits dans Entretien.
Il reste donc, malgré les images marquantes par leur grâce ou leur iconographie immédiate et évidente, malgré cette impression d’avoir rêvé éveillé, un sentiment d’inachevé, de flou dans l’écriture qui hôte de ce fait l’occasion à Jordan d’illustrer encore un peu plus de son romantisme délicat le parcours de créatures mythiques et mystérieuses (on parle de vampires ou de femmes ?) si loin des canons débilitant, grossiers, vulgaires et vulgarisant, mécaniques et ridicules qui caractérisent les productions de genre actuelles.
Des paillettes…j’t’en foutrai moi conasse !