Je n'ai jamais été lecteur de Charlie Hebdo, j'aurais aimé que ceux qui l'aiment m'expliquent ce qu'ils aimaient dans ce journal, mais ils n'ont jamais daigné le faire. Par moi-même, j'ai découvert Willem, qui est probablement un des plus talentueux de tous, avec son humour à la fois maladroit, violent et désespéré.


Ce film ne vous expliquera pas ce qui faisait le sel du journal. Il faut dire qu'il se situe en période Philippe Val, à l'époque de la parution des caricatures danoises de Mahomet et du procès qui va suivre. C'est donc moins un film sur Charlie Hebdo qu'un film citoyen sur la liberté d'expression et les rapports de force politiques à l'époque de ce combat.


Il y a des séquences qui montrent la vie de la rédaction, ces fameux moments pour définir la une où chaque dessinateur dessine sa proposition tout en lançant des vannes, puis où on discute de la meilleure. Et justement, on assiste à la réalisation de la fameuse une de Cabu montrant le prophète pleurant en disant "C'est dur d'être aimé par des cons", avec la légende "Mahomet débordé par les intégristes", inattaquable. Il y a Wolinski, Cabu, Fourest, Val, Tignous, etc... C'est un extrait qui peut être montré en classe car plutôt que de parler de manière abstraite de liberté d'expression, il humanise ces gens. Je m'interroge tout de même sur la présence du caméraman : si Leconte est là pour fixer ce moment qu'on nous présente comme improvisé, n'est-ce pas tout de même que lui et la rédaction avaient conscience que quelque chose d'important pouvait se passer ?


Le documentariste ne cache pas sa proximité avec les gens de Charlie Hebdo, même s'il donne la parole aussi au camp adverse : l'avocat des associations musulmanes qui vont porter plainte pour représentation du prophète, etc...


On voit les institutions fonctionner, et la justice se pencher au fonds sur un point crucial, qui avait besoin d'être clarifié : y'a-t-il un droit au blasphème en France ?


Un des aspects déplaisant, c'est que la caméra est volée par Philippe Val, omniprésent et suave, et le si souriant Richard Malka. Même si leur cause est juste, ces deux-là adorent visiblement être filmés sous leur bon profil. J'aurais préféré entendre davantage Charb, Cabu...


C'est intéressant pour le défilé de personnalités qu'on voit passer : Hollande, l'inévitable Elisabeth Badinter, les avocats aussi (Spiszner, Kiejman...), et le douteux Mohammed Sifaoui, dont les propos sont ici repris comme argent comptant. Les moments d'audience sont reconstitués grâce à la plume de Joan Sfar (j'avais oublié qu'il avait fait les croquis judiciaires à l'époque).


C'est un film judiciaire, donc on suit les arguments des uns, des autres et un certain nombre de rebondissements.


Il y a aussi ces moments, en salle des Pas Perdus, où certains membres de la rédaction comme Fourest discutent avec des musulmans et restent calmes alors qu'ils se font copieusement engueuler (on ne peut pas lui dénier du courage, ou une certaine habileté de communication).


C'est plutôt drôle dans l'ensemble, avec ce moment délirant où Dieudonné vient apporter au journal son "soutien", en réalité une tentative de donner au journal le baiser de la mort.


Sinon on saisit Philippe Val à un moment-clé de sa vie : le moment se noue où son idylle avec Nicolas Sarkozy. On leur souhaite tout le bonheur du monde ; s'ils pouvaient juste un peu moins ramener leur gueule...


C'est dur d'être aimé par des cons est à la fois un film qui humanise un peu l'équipe de Charlie Hebdo et qui pose bien les questions de liberté d'expression. Tous ses acteurs sont montrés de manière bienveillante et Philippe Val s'écoute trop parler, mais sinon c'est intéressant.


Vu pour l'EMC et à la suite de l'assassinat de Samuel Paty.

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le 29 oct. 2020

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