Claude Lelouch a expliqué que derrière son film, il y avait son angoisse de ne pas être à l'heure, que la ponctualité était pour lui une obsession. Dont acte. Je passe sur les risques encourus pour le tournage. Je passe sur le fait que ce fut une Mercedes 450 SL 6.9 l automatique qui fut utilisée (parce que la calandre permettait de fixer une caméra) et que ce fut ensuite le bruit d'une Ferrari 275 GTB à boîte manuelle qui fut plaqué sur l'image. Je passe sur toutes les légendes qui ont entouré le tournage, à commencer par celle que c'était Jacques Lafitte ou Jacky Ickx qui était au volant. La seule question qui m'importe est le sens à donner à cette performance, au sens artistique du terme.
Je repense au court-métrage "Ils attrapèrent le bac", de Cari Theodor Dreyer et le gouffre qui sépare les deux films me saute à la figure.
Dans le film de Lelouch, le but est d'arriver à l'heure à un rendez-vous pris avec une fille fraîche et pimpante (Gunilla Friden, sa compagne à l'époque) à cinq heures du matin au Sacré-Cœur au mois d'août. Et le maximum de sérieux et de moyens est mis dans la concrétisation de ce projet. Par ailleurs, la durée du film était conditionnée par les 300 m de pellicule se trouvant dans le magasin de la caméra, solde non utilisé du tournage de "Et si c'était à refaire"..
Dans celui de Dreyer, l'objectif d'un couple de motocyclistes est d'attraper un bac situé à l'autre bout d'une île. Progressivement, le film se transforme en métaphore de la vie, en trip existentiel.
Faire un film pour le seul plaisir de prendre son pied un moment n'est ni une tare, ni une erreur, encore moins une faute. Cela peut même être amusant. D'ailleurs, "C'était un rendez-vous" a quelque chose d'assez fascinant. Mais, comme dans toute la production de Lelouch, on n'y trouvera pas une once de réflexion, pas un poil de dimension. Juste de la vanité, de l'éphémère. Quelque part, il suffit d'avoir vu ce court-métrage pour avoir vu tous les autres films de ce réalisateur. En dix minutes, Lelouch a donné le meilleur de lui-même: faire du rien avec un rien et le ficeler dans un emballage excitant mais trop grand, avec beaucoup de vide à l'intérieur,