Comment ça (le film) a tué ça (le livre) ?

J’annonce librement, sans prendre les pincettes que ce film ne mérite pas, avoir eu l’envie très forte de dégueuler ma colère après avoir assisté à la projection de Ça.
Pourquoi ? Car le livre de Stephen King est mon petit chef-d’œuvre personnel, et que ce film - superficiel, creux et raté - est l’énorme cicatrice qui le défigure pour longtemps.
Laissez moi m’expliquer.


1. Un film superficiel


Pour toute personne ayant parcouru le livre de Stephen King, assister à une séance du film Ça laisse une impression étrange : celle d’être face à un pastiche, n'ayant gardé que l'apparence de l'histoire originelle pour mieux se débarrasser de son contenu.
Qu’est ce que cela signifie ? Prenons un exemple simple :
- le livre met en scène avec puissance ce qu’est d’être enfant.
- Le film met en scène des enfants.


La force du récit de Stephen King est à mon sens sa capacité à faire écho à notre propre expérience de l’enfance. Bien que l’histoire prenne place dans les années 50 dans une petite ville américaine, et qu’elle s’inspire des propres souvenirs de l'auteur, Ça m’a renvoyé comme jamais à mes sensations de gamin.
King sait raconter la solitude des enfants, leur manière d’occuper cette solitude, seul ou à plusieurs, les interactions avec les autres, les adultes, la famille ou les professeurs.
Il nous rappelle notre propre impression d’avoir été inadapté au monde, de s’être senti incompris ou pas à sa place ; et il sait surtout raconter les copains, les liens qu’on croit difficile à nouer et qui se font si naturellement.
Il arrive parfaitement à retranscrire l’ambiance de ces étés interminables, libres de la présence des adultes, les jeux dans les terrains vagues, les cabanes, le temps passé avec ceux qui trainaient là. Et ces sentiments, ces perceptions, sont l’ingrédient principal et presque magique qui font la beauté du récit. Pourtant la version cinématographique s’en éloigne.


Bien sûr, je sais la complexité des adaptations mais ici, j'ai cette impression que le film n'essaie même pas ce film.
Ce qu'il nous propose à la place, ce sont des gamins braillards, des pseudo-losers, pur produits des eighties branchés, criant sans cesse « It’s summer » par peur qu’on ne l’ait pas compris, et qui s’affrontent dans une série de vannes punchy censées faire rire le public. Difficile de s’identifier.
À part quelques exceptions (Ben ou Beverly) les acteurs rendent encore plus insupportable ce parti pris, avec mention spéciale au Eddie version film, passé d’un chétif asthmatique vivant dans l’ombre de son ami Bill, à un morveux prétentieux cherchant à tout prix à capter l’attention de la caméra.


Par cette simplification des personnages, le réalisateur entraine une simplification des relations (par ex, l’amour des garçons pour Beverly semble être purement physique dans le film, cf. la scène du maillot de bain), et aussi une simplification de leurs réactions/sentiments.
C’est le cas particulièrement flagrant du pauvre Stanley, présenté dans le film comme peureux et « faible » afin de nous préparer [SPOILERS ON] à son suicide une fois adulte [SPOILERS OFF].
Ce raccourci est scandaleux, car cet acte, comme il est présenté dans le livre, s’avère beaucoup plus complexe. En effet, l’auteur nous montre Stanley comme un garçon mature et cartésien, refusant que Ça, un être pouvant piétiner les règles de notre monde, soit réel. Cette incapacité à l’accepter va le faire passer du refus au dégoût, au point qu’il exprimera le sentiment d’être sali par l’existence de cet être malfaisant.


2. Une incapacité à faire peur


Ne soyons pas dupe, l’autre ingrédient qui fait la popularité et l’attractivité de Ça est la peur qu’il procure.
Bémol de ce film : il ne fait pas peur.
Attention, faisons bien la différence entre faire peur et faire sursauter, car le premier mot se réfère à un construction psychologique, le deuxième à une réaction physique.


Dans son livre, King distille dès le début une angoisse pesante, latente, qui imprègne chaque page et entoure nos héros. Cette peur se présente sous trois formes :



    1. Par les adultes, ombres menaçantes ou absentes, qui rodent comme des prédateurs autour des enfants (ex : le père de Beverly), sont incapables de les comprendre ou de les protéger (ex : les parents de Bill) ou sont les témoins conscients mais passifs de la violence de la ville (les habitants de Derry en général) - si ce n’est quelques exceptions.
      Ces présences angoissantes ont été partiellement retranscrit dans le film, avec plus ou moins de réussite mais notons l’effort.

    1. Par le groupe d’enfants-bourreaux mené par Henry Bowers.
      Là où le livre savait nous montrer comment ces gamins étaient le fruit de la haine de leurs parents (racistes, haineux, violents) et comment certains allaient basculer dans la folie et le meurtre ; le film fait d’eux des silhouettes en arrière-plan, apparaissant quand il s’agit de faire avancer l’intrigue ou de mettre en valeur nos héros.

    1. Avec Ça (et ça fait mal)
      Bien sûr, la principale source de peur de cette histoire n’est autre que Ça, dit Grippe-sous le clown.
      Et pour cause, cette entité maléfique, vivant dans les égouts de Derry depuis la nuit des temps se nourrit métaphoriquement et physiquement des enfants et de leurs peurs en prenant la forme de ce qui les effraie le plus.
      Sa présence dans les égouts lui a permis d’infiltrer Derry et de contaminer ses habitants, d’où cette angoisse diffuse qui règne dans le livre et met mal à l’aise. Ce gène devient même un dégoût à mesure que nos héros découvre les horreurs perpétuées par les habitants au cours de l’histoire de la ville, sous l’impulsion du clown.


Or le film est incapable de traduire ce malaise. Bien sûr, il y a des tentatives, mais qui jouent toujours sur le spectaculaire et ne font que faire sursauter.
Quant à Ça lui-même…
Dans le livre, chaque enfant du groupe a rencontré et affronté Ça. D’abord réticents à le raconter aux autres, chaque personnage va finir par partager son histoire. Ces scènes, il faut le dire, sont les plus réussies et les plus effrayantes du livre. L’auteur sait faire naître ou devrais-je dire renaître l’angoisse en s’adressant directement à nos peurs d’enfant.
À contrario, le film cherche juste à faire tressaillir et propose toujours le même schéma : 1. l’enfant se trouve seul dans un lieu, 2. apparition d’un effet spécial bizarre censé faire monter la pression, 3. Ça surgit d’un seul coup à l’écran en hurlant et courant.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que les enfants s’en sortent presque toujours grâce à la présence d’un autre personnage, là où ils s’en sortaient seul en affrontant leurs peurs dans le livre.
En même temps, comment prendre peur pour ces enfants quand le clown ne semble jamais vraiment essayer de les attraper...


3. Réécriture de la fin


Les libertés prises dans l’adaptation de ça font légion. Néanmoins, si quelques-unes sont nécessaires, d’autres m’interrogent voire même me désespèrent. Laissez moi m’expliquer.


Avant de commencer par parler de la fin, prenons la première scène de l’histoire : la mort de Georgie.
Dans le livre, Georgie se fait arracher le bras par Ça et en meurt. Son cadavre amputé est retrouvé et ramené à sa famille. En découle la culpabilité de Bill de n’avoir pu sauver son frère ainsi que sa haine et son désir de vengeance à l’encontre du clown.
Dans le film, la scène est quasi-identique sauf que le corps de Georgie disparaît. Ce changement renverse une bonne partie de l’intrigue puisque Bill va chercher pendant tout le film à retrouver son frère qu’il croit vivant.
Pourquoi faire ? Car il est plus facile de montrer un gamin mettant en danger ses amis pour retrouver un frère perdu plutôt que par simple désir de vengeance ? Probablement.


Ce changement reste pourtant minime face au bouleversement des plus importants, celui de la fin.
Cela commence quand Beverly disparaît.
Premier choc : Pourquoi se fait-elle enlever ? Dans le livre, une suite de circonstances fait qu’après s’être battue avec son père, Beverly se retrouve à fuir avec les garçons dans les égouts et ensemble, ils vont finalement affronter Ça. Le film quant à lui, en prenant le parti de l’enlèvement de Beverly, donne à la seule fille du groupe le rôle de demoiselle en détresse, et aux garçons celui de preux chevaliers. Formidable.


La confrontation finale avec Ça s’avère elle aussi complètement réinventée.
Ça [SPOILERS ON] s’avérant être un personnage de sexe féminin dont la forme finale est celle d’une araignée géante [SPOILERS OFF] s’engage dans un combat en partie psychologique avec les enfants. Ce passage est très difficile à traduire visuellement car il est assez étrange, presque abstrait. Mais alors, pourquoi le remplacer par cette scène grotesque où les enfants frappent au pied-de-biche le clown ? Quelle approche réductrice où la violence physique vient remplacer un combat presque idéologique.


Et la déception touche à son apogée après la fuite de Ça. Cette partie, pleine de maturité et d’intelligence, capable d’être à la fois dans l’innocence et la perversion, se retrouve remplacer par une niaiserie hollywoodienne.
Je m’explique : [SPOILERS ON] dans le livre, l’auteur insiste beaucoup sur le lien presque magique unissant nos héros, et sur la force qu’ils en tirent pour affronter le clown. Or, une fois le combat finit, le lien disparaît et le groupe se retrouve perdu dans les égouts, au bord de l’éclatement et donc voué à une mort certaine. Beverly, consciente de la situation, prend une décision radicale pour unir à nouveau le groupe et tous les sauver :
Elle fait l’amour à chacun des garçons (je dis « faire l’amour à », et pas « faire l’amour avec »).
Cette scène est très importante car elle montre la fin de l’enfance pour chaque personnage en même temps que la création d’un lien les unissant à jamais par ce premier acte sexuel, plus spirituel que physique. De cet acte né leur survie.
Elle est d’autant plus intéressante qu’elle renvoie aux accusations portées contre Beverly depuis le début de l’histoire par son père, celles de coucher avec tous les garçons, ce qu’elle finit par faire dans un but purement altruiste et désintéressé. Joli pied de nez. Belle complexité du personnage. [SPOILERS OFF]


Dans le film, cette scène est supprimée (!) et le réalisateur nous propose à la place un bisou amoureux entre Beverly et Bill.
Je n’ai alors plus eu de mots…


S’il n’y avait qu’une chose à retenir c’est : lisez le livre, oubliez le film.

JérémyEvrard
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le 2 oct. 2017

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Jérémy Evrard

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