Les amateurs de comédies musicales, les connaisseurs de films chantés et dansés sont souvent très exigeants car, si une comédie musicale au scénario incertain n’est pas sauvée par ses numéros musicaux, il n’y plus rien à sauver. Avec Bob Fosse et son Cabaret, il y a non seulement le gâteau de numéros musicaux incroyables mais aussi la cerise d’un climat pré-Guerre Mondiale dans le Berlin des années 1930.
Liza Minnelli campe une merveilleuse Sally Bowles, danseuse et chanteuse anglaise dans un cabaret berlinois. Elle rêve de devenir une grande actrice, persuadée de son talent et qu’elle n’aura peur de rien pour arriver à ses fins. Débarque dans sa vie le jeune Brian, flegmatique British qui cherche à donner des cours d’Anglais pour gagner quelques Deutsche Marks. Leur histoire d’amour va débuter timidement, se heurtant à la réserve de Brian et à l’exubérance de Sally. En filigrane, on voit le nazisme monter peu à peu, investir les esprits, effacer les mémoires et empoisonner les consciences.
Cabaret reste envers et contre tous un film d’une gaieté et d’un optimisme incroyables, Bob Fosse, ses choix artistiques et musicaux y sont pour beaucoup. Les numéros du cabaret viennent servir d’entre-actes musicaux au film, appuyant et reprenant même parfois les thèmes de l’histoire vécue par les personnages. L’esprit du cabaret est parfaitement rendu, on a ici tout le côté canaille, toute la confusion des genres, tout le politiquement incorrect qu’a encore aujourd’hui le burlesque, ou du moins ce qu’il en reste. Les allusions sexuelles sont omniprésentes et procurent de salutaires éclats de rires.
Dans ces numéros, Liza Minnelli est lumineuse, éblouissante, un coup de vent frais dans la nuque, elle est sauvage, indomptable, inconstante et inonde son entourage de joie de vivre et d’esprit mutin. Elle se moque de la plupart des conventions sociales et garde son côté « pile électrique » même dans la haute société. Le trop rare Michael York promène son côté britannique avec le flegme d’usage et joue parfaitement l’amoureux fasciné par cette femme espiègle mais qui se laisse tant déborder par ses émotions. Mais tout deux ne sont rien à côté de l’acteur de génie qu’est Joel Grey, extraordinaire monsieur loyal du cabaret, il chante parfaitement, danse de la même manière et a ce côté androgyne indispensable à son rôle. Dire qu’il est parfait serait le sous-estimer, il explose l’écran et sur scène, tour à tour hilarant, touchant ou parodiant Hitler, on attend chacune de ses apparitions avec avidité.
Cabaret est à tout jamais l’une des meilleures comédies musicales, mélange de joie de vivre, de mélancolie et de haine de l’autre, il réussi l’alchimie entre des thèmes et des personnages improbables. Alternant caméra fixe et caméra à l’épaule, Bob Fosse donne vie à sa création et nous transmet son bonheur de filmer et de créer une œuvre qui, quarante après, suscite la même admiration née de l’intemporalité de thèmes comme la haine, l’infidélité et le rejet de l’autre. C’est évidemment d’une grande tristesse, mais Bob Fosse avait vu juste.