Georges vit tranquillement avec sa femme et leur enfant dans un bel appartement situé en pleine ville. Subitement, ils reçoivent des cassettes vidéo leur montrant leur maison comme si quelqu’un les espionnait. On se croirait dans Lost Highway. Il n’y aura que le postulat de départ qui sera lynchéen, car le long métrage est un pur condensé du réalisateur autrichien tant sur la forme que sur le fond. D’ailleurs, la première longue séquence, plan séquence fixe comme souvent l’autrichien, est un passage de l’une de ces vidéos qui montre Georges sortir de chez lui. Haneke a la bonne idée de montrer ces moments volés en pleine écran avec la voix off des spectateurs, pour mieux nous rapprocher du mystère, pour nous permettre de mieux nous identifier à ce couple qui tombera petit à petit dans la paranoïa la plus totale comme lors de la disparition nocturne de leur fils. Les passages présents à l’écran sont-ils sur la cassette ou est-ce la réalité présente ? Haneke se joue des images, les estime comme source de vérité, comme première témoin de toute cette manipulation comme lorsque Anna se rend compte que Georges lui a menti à propos de sa découverte sur ce fameux appartement 47. Le réalisateur se demande quelle est notre vision quant à la teneur des images qu’on ingurgite à longueur de journée.
Le couple se pose des questions sur le pourquoi du comment sans comprendre ce qu’il se passe réellement ? Est-ce l’un des amis de leur fils qui leur joue un tour ou est-ce peut être une amante de Georges qui joue les troubles fêtes ? La multiplicité des cassettes est grandissante, souvent avec des petits dessins sanguinolents, devenant même adressés sur le lieu de travail de cette famille. Par la force des choses, avec son style si identifiable, son cadre froid et statique, sa longueur des scènes qui accentue ce « huis clos » paranoïaque, Haneke nous embarque dans le passé d’un homme et nous questionnera sur le poids du passé et des choix qui en résulte. Devons-nous vivre caché avec nos souvenirs les plus traumatisants engouffrés dans notre esprit, ou est-ce que ces réminiscences doivent être absoutes pour ne pas être puni à notre tour par le destin ?
Porté par un duo d’acteur parfait en la présence de Daniel Auteuil et Juliette Binoche, Caché nous agrippe pour ne plus nous relâcher, avec cette angoisse qui ne fait que monter, laissant se dérouler sa trame avec une maitrise évidente sans aucun artifice, et avec un réalisme bluffant. C’est à ce moment-là que réapparait une tragédie enfantine de Georges, un fait dont il n’assume pas la conséquence, conservée non pas par une preuve matérielle mais par sa mémoire. C’est sans doute ce qu’il y a de pire, se rendre compte de la honte de la réalité et de ne pas s’avouer sa culpabilité. Il se confrontera à ses présupposés ravisseurs, écrits avec des dialogues malins et secrètes ponctués d’une scène suicidaire sèche et éclaboussante d’aridité. La toute dernière scène résoudra l’énigme de façon sibylline d’un film qui ne manque pas d’intelligence et malice.