Le psychédélique, c'est voir à travers. A travers des rideaux, des filtres colorés. A travers l'oubli, l'incohérence. C'est tenter de rendre au souvenir toute sa difformité, son grotesque, son caractère sexuel, son outrance et son insaisissabilité. Shuji Terayama (je n'avais rien vu de ce cinéaste) évoque ici son enfance, et vise l'étrangeté. Mais très vite elle est atteinte. Et alors une sensualité folle afflue, un calme quasi-organique, puis une détresse tellement lointaine qu'elle en devient un chant. On pourrait très vite voir Terayama comme le cousin japonais de Ruiz, mais il le surpasse largement, grâce à cette sensualité, et à l'assurance sans appui ni redondance de son geste esthétique - au point de devenir plutôt le neveu turbulent de Paradjanov. Cache-cache pastoral n'est jamais criard, pourtant tout est exacerbé. Alors Terayama réalise une vraie prouesse : faire quelque chose d'aussi vrai avec autant de faux.
Après 40 minutes, le film se brise : le cinéaste s'incarne à l'écran, commentant ce qu'on voyait, révélant que rien ne s'est vraiment passé comme il le décrit. Et même là, dans cet effet, le film reste humble, simple, très juste à son endroit alors qu'il se décentre. C'est ce qui lui permet de se défaire de son récit, et d'y revenir autrement, pour atteindre une beauté plus essentielle encore.
Il y a de très grandes scènes, visuellement marquantes, comme cette femme qui se fait gonfler par un nain muni d'une pompe à air, ou cette jeune fille qui joue à cache-cache dans un cimetière où les enfants se transforment en adultes inquiétants derrière les tombes, ou encore cette partie d'échecs au milieu d'un champ entre le réalisateur et son double adolescent. Mais c'est surtout un des plus beaux films sur la relation entre une mère et son fils. Car le cinéaste, lors de cette fameuse partie d'échecs, demande à celui qu'il était de tuer sa mère, pour voir s'il serait le même aujourd'hui. L'adolescent se dérobe (on peut être trahi par ses souvenirs), le décor tombe (littéralement), et la mère reste intacte, face au fils devenu vieux, au milieu des rues de Tokyo, sous le regard des passants auxquels se mêle une troupe de cirque.
Très impressionné par ce cinéaste, dont je me méfiais un peu (je pensais sa réputation d'Artaud japonais usurpée, argument de marketing, mais pas du tout) : je verrai bientôt d'autres films de lui, c'est certain.