[ATTENTION : Cette critique contient des spoilers]


Call Me By Your Name nous plonge dans une Italie pastorale idyllique, idéale autant qu'idéalisée, quelque part dans le Nord, dans les années 50.
La famille d'Elio y a établi sa résidence secondaire, son père professeur d'histoire antique, sa mère propriétaire du verger familial. Accompagnés d'Anchise le jardinier et Mafalda la femme à tout faire, la famille passe l'été insouciant à lire, boire, manger, fumer. C'est la famille idéale : des parents éduqués, intelligents, un fils beau, intelligent, fin, talentueux, musicien. Tous sont trilingues et échangent sans souci sur la peinture, la sculpture et la littérature, tour à tour en français, en anglais, en italien et pourquoi pas en allemand, après tout.
Dans tout ça, Elio, jeune éphèbe de 17 ans, s'ennuie ferme : il lit, transcrit sa musique, joue du piano, de la guitare, boit, mange, fume, et sort avec ses amis cosmopolites, dont la belle Marzia (Esther Garrel, petite sœur de Louis, qui incarne à la perfection la fraîcheur des premiers amours) qui lui fait de l’œil mais qui ne partage pas son goût pour la littérature. La belle n'aime pas lire, parce que "Les gens qui lisent cachent ce qu'ils sont... et les gens qui se cachent n'aiment pas toujours ce qu'ils sont." Elio est perdu, Elio s'ennuie, Elio ne fait qu'attendre que l'été passe. Intervient alors Oliver (Armie Hammer, déjà aperçu dans The Social Network et The Man From U.N.C.L.E.), jeune Américain qui vient passer les vacances auprès du père d'Elio, un séminaire estival qui ne finira par lui prendre que bien peu de temps.
S'entame alors une longue période d'indécision, où Elio connaîtra les émois du premier amour et jouera sur les deux tableaux : s'il répondra aux avances de la belle Marzia, il tissera également une relation privilégiée avec Oliver, une amitié toute particulière que l'on soupçonnera longtemps d'homo-érotique. Mais les deux hommes ne se comprennent pas, échouent à communiquer. L'été touche à sa fin et ce n'est qu'après cette longue période de séduction étrange que la relation se concrétisera. Elio finira par connaître son premier chagrin d'amour, perdant tour à tour Marzia qui finit par comprendre et repartira le cœur brisé et Oliver qui rentrera chez lui.


C'est donc dans cette Italie parfaite que ce drame pastoral trouve une modernité appréciable, qui montre qu'une drame romantique peut sortir de l'hétéronormativité. C'est une fresque sensible sur les premiers émois, tableau d'autant plus juste qu'il est débarrassé de toute autre contrainte : l'été lascif, propre au pastoralisme et propice à tous les possibles, et la maison de campagne, isolée sans vraiment l'être. Il ne sera fait que timidement mention du contexte politique de l'époque et toute idée de temporalité est à exclure (C'est d'ailleurs ce qui fait toute l'exceptionnalité de la longue journée avant le rendez-vous fixé par Oliver, rencontre pleine de promesses). Ici le temps ne fuit pas, il stagne et est du même coup propice à tous les évènements. Ainsi l'on échouera longtemps à décider si l'on se dirige vers un drame ou non.
Au final, tout se répond et le classicisme ambiant finira par accentuer l’homo-érotisme du film qui deviendra finalement auto-érotisme : Appelle-moi par mon nom et je t'appellerai par le tien. On retrouve là tout le narcissisme de l'adolescence, période charnière s'il en est, propice aux découvertes et aux essais.
C'est finalement Mr. Perlman, le père d'Elio (Michael Stuhlbarg, omniprésent cette année et qui nous rappelle douloureusement l'absence de Robin Williams) qui formulera les troubles d'Elio le mieux, d'abord lorsqu'il cite Montaigne en parlant de l'amitié profonde qui semble lier Elio et Oliver : "Parce que c'était lui ; parce que c'était moi.", puis plus tard dans une scène bouleversante d'authenticité dans la relation père-fils : "Nous arrachons tant de nous-mêmes pour guérir des choses plus vite que l'on ne devrait que nous sommes à sec le temps d'avoir trente ans et nous avons de moins en moins à offrir à chaque fois que nous recommençons avec quelqu'un d'autre. Mais ne plus rien sentir afin de ne rien ressentir... Quel gâchis !" Il fera ainsi écho à Musset qui, dans On ne badine pas avec l'amour, écrivait : "On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui." Tout cela, Elio l'encaisse, le digère à son rythme de jeune adolescent, et craque parfois, entre mutisme tout ému avec sa mère et communication toute personnelle avec son père. Il finira par nous prendre à témoin, entre deux crises de larmes, avec un ultime regard caméra qui semble nous interpeller : "Et vous ? Qu'en pensez-vous ? Qu'avez-vous fait de vos premiers amours ?"
On finira par relever la présence discrète d'Anchise, le jardinier, qui d'un regard comprend et fait comprendre, et dont l'onomastique donne au classicisme ambiant une toute autre dimension, à la frontière entre tradition grecque et romaine.
La partition ne fait que sublimer l'ensemble, entre thèmes musicaux récurrents efficaces, jolis hommages à la scène musicale de l'époque (On retiendra les scènes de danse, sensuelles et efficaces) et Sufjan Stevens lui-même qui vient apporter sa douceur et son intelligence à l'édifice.

zogloramenyd
8
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le 11 mars 2018

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Zoglora  Menyd

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