Le Christ est une femme dans un corps d’homme.

La première fois que j’ai entendu parler de ce film j’étais jeune, il était marqué moins de 16 ans à la télé. Je ne les avais pas et j’avais commencé à le regarder. Puis finalement n’y comprenant rien au bout de 5 minutes j’ai lâché. Me revoilà, après environ 8 ans devant ce film dont le titre m’a toujours fasciné. Il faut un temps pour tous ses désirs et espoirs. Je n’ai jamais cherché à le trouver, mais le hasard et les circonstances réalisent toujours nos envies. Et là on se rapproche du thème du film.


Marc Stevens est chanteur. Marc Stevens polarise l’attention des habitants des villages où il passe chanter. Quel que soit l’interlocuteur, il le passionne. Au-delà de son charme ravageur Marc a une personnalité ambiguë et androgyne. Il plait aux femmes et aux hommes. Voilà la lourde charge de sa vie. Le film commence par des relations ambiguës avec des femmes, qui mettent mal à l’aise Marc. Puis c’est au tour des hommes de vouloir Marc. L’ambiguité, le malaise et la nervosité sont les maîtres mots des émotions de ce film. Une atmosphère lourde et malveillante.


J’ai pu lire que ce film usait de l’humour noir, des clichés et du fantastique. Je n’en suis pas persuadé. Il y a certes une part d’ironie, mais qui se rapproche plus de la fatalité. Finalement un homme qui plait autant doit se retrouver à faire la tournée d’obscur patelin? Marc Stevens semble pourtant heureux de sa vie, c’est son milieu, pourtant il ne semble pas à sa place. Son charme et sa tenue déteignent dans un univers sale et infantile. Ce rapport est précisément celui qui est le fil conducteur du film. Marc passionne, dérange et exacerbe les émotions.


Pour l’aspect filmique plusieurs remarques. La photographie est splendide. La construction de l’image inclut quasi toujours un second plan non négligé. Que ce soit la forêt qui éclate et étouffe le cadre. Les scènes en intérieur sont aussi savamment construite pour y placer un regard extérieur. Oui le spectateur n’est pas seul. Quand Marc et Bardel sont dans la maison, sur plusieurs plans on peut remarquer des portraits photos fixant la scène. La cadrage froid met en place une atmosphère tendue et ambiguë. La lenteur des mouvements de caméra suggère une situation irrémédiable. La scène finale est un pur chf d’oeuvre de travelling, évasif, langoureux, froid et magnifiant. Les situations sont sordides et angoissantes, mais le cadrage et la photo réveillent la vie. Il y a aussi tout un jeu de lumières. Exercice type du film d’horreur, la lumière permet de nombreux effets de styles. Ici elle transmet les émotions et les désirs. Que ce soit les scènes en intérieur, les scènes dans les bois, notamment la fuite de nuit, ou alors l’épisode glauquissime du bar.


Plusieurs scènes retiennent mon attention. La première est celle du réveil de Marc au lendemain de son arrivée. Il se retrouve dans cette auberge, qui n’en est pas une, et la douceur de son réveil se démarque de l’endroit. D’ailleurs comment croire ce que les hommes qui rencontrent lui disent? Ils semblent tous fous et dégénérés. A la moitié du film tout explose. La scène zoophile fait évidemment référence à Délivrance. La crucifixion ne semble être qu’un point d’orgue glauque, mais amène à réfléchir. Marc n’en est pas à la moitié de ses souffrances, cela ne fait que commencer. Le Christ descendu aux enfers. La scène du bar est glauque, crade et perturbante. Pourtant elle fait aussi office de point d’orgue. Enfin le dernier panorama, splendide, un des plus beaux travellings que j’ai pu voir au cinéma se détache comme une oeuvre romantique du XIXème. Le Croix et cathédrale dans la montagne, Croix dans la forêt, Chasse dans la forêt, ou encore Paysage d’hiver et église, de Caspar-David Friedrich.


Il y a une sorte de construction christique. Logique en soit, sachant que le titre du film fait référence au Calvaire en portant le même nom. La vieille dame du début c’est Marie, la narration incluant un délire oedipien. La jeune femme est Marie-Madeleine. Bartel est Pierre. Boris est Judas. Les villageois sont les Juges. Mais point de rédemption pacifique, la mort est leur rendez-vous. Le Christ Marc est à la fois un homme et une femme. Pas de double nature divine et humaine pour lui. Il est le Christ des désirs humains. Il polarise la souffrance, la solitude, la dégénérescence, les désirs et la violence. Beaucoup y ont vu un portrait de rednecks bourrus des campagnes. Mais il ne s’agit là de rien d’autre qu’une tentative de portraitisation des désirs mal conduits. Des désirs où seuls la violence et le meurtre sont les sources de jouissance. Le clavaire de Marc est forcé, il ne cherche rien, seulement de l’aide est se retrouve passager passif d’un circuit de violences. Violences physiques et psychologiques. Que dire de cette Gloria que tous attendent? A-t-elle seulement existé où l’ont-ils fantasmé? Toujours est-il qu’elle a mis un sacré bordel dans ce coin. Aucune femme dans ce village, les hommes se rabattent sur les animaux. Marc devient leur animal, leur traque. Gloria, prénom logique, dans la métaphysique du film, a sans doute traîné chez tous les hommes du village. Vrai ou faux? On pourrai trouver là une idée de la Chute, l’homme paie ses vices et cette pauvre femme n’aurait-elle pas été la victime de ces êtres répugnants? Marc subit une métamorphose orphique des plus inquiétante.


Pour en revenir à la technique, les acteurs sont tous excellents. Je remarque avec une immense joie la présence de Philippe Nahon, toujours aussi fort. Visuellement le film vaut un Gaspar Noé et c’est ça qui me plait. Le cinéma underground (?) français connait de belles heures avec ces réalisateurs fantasques et subtils. Quel que soit la charge visuelle de leurs films ils parviennent à la stimulation des émotions, les réactions d’effroi et de dégout. Finalement le réalisme sordide fait croire à un univers fantastique. Mais chez ce type de réalisateur on ne trouve qu’une ironie froide et une satyre des sensations. Le corps véhicule les émotions, mais les sensations du corps sont des désirs.


En somme, ce film est une réussite. Transit de froid et de douleur, la caméra hache la vie de Marc. Son évangile n’est pas glorieuse, ni rédemptrice. Elle nous fait un vague portrait courbetien au réalisme froid et violent. Un enterrement à Ornan illustrerait bien les sables mouvants. Un sol rugueux et gelé, qui avale la douleur. Les émotions et les sensations sont souvent accompagnées du fantasmes. Le désir est une valeur sure de l’humanité.

TheDuke
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le 15 oct. 2015

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