Il y a encore quelques heures, j’étais persuadé que les frères McDonagh (John Michael et Martin) étaient deux Irlandais moyens, très drôles mais trop saouls pour réaliser des films sérieux. Calvary, sorti en octobre dans quelques cinémas en France, a mis à mal cette idée. Très discret, le film du plus jeune des deux frères, John Michael, apporte en effet une sorte d’effet dramatique qu’on ne connaissait pas dans les précédents films de la fratrie. L’Irlandais, précédente et unique réalisation de John, et Bons baisers de Bruges et Sept Psychopathes, les deux longs-métrages de Martin, se plaçaient bien plus sur le plan comique, ce qui en faisait presque oublier des situations pourtant bien tristes.
Calvary, c’est l’histoire d’un prêtre en Irlande, incarné par Brendan Gleeson. Père James Lavelle a eu une fille dans une autre vie, Fiona (Kelly Reilly, qu’on a pu voir dans Flight ou la trilogie internationale de Cédric Klapisch). Un jour, l’un de ses paroissiens lui annonce, sous confesse, qu’il va le tuer le dimanche suivant. La semaine qui lui reste à vivre, le père Lavelle va la passer à faire le tour de sa paroisse, à essayer de comprendre ce qui se trame dans son entourage. A travers ses contacts avec Jack Brennan (Chris O’Down, alias Simon le simple dans Good Morning England), Frank Harte (Aidan Gillen, mondialement connu grâce à son interprétation de Littlefinger dans Game of Thrones) ou encore Dylan Moran, humoriste irlandais, on découvre les derniers jours d’un homme qui se sait condamné mais qui, plus que sa propre peau, cherche à sauver l’âme déjà égarée on-ne-sait-où de ses paroissiens, et notamment de son futur meurtrier.
On voit donc à travers ce film un rapprochement du scénariste et réalisateur irlandais vers des sujets plus sérieux, notamment par la disparition du comique permanent qui régnait dans L’Irlandais. Ici, l’humour est plus sous-entendu, plus subtil aussi que par le passé. L’impression de voir un homme condamné qui reste debout et qui représente typiquement l’exemple que voudrait voir l’Eglise en chaque prêtre catholique est assez forte. Jamais Brendan Gleeson ne cherche à esquiver ses responsabilités ou à ne pas aider les autres. Jamais sa propre personne ne passe avant les autres. Exemplaire jusqu’à la fin, le prêtre est à la fois attachant et énervant par son attachement à la foi et par sa fatalité. La prestation très sobre et jamais dans l’excès ou l’inexpressif aide bien à ce constat. Tout comme la réalisation, bien plus soignée que sur le premier long du réalisateur, ainsi que les situations, plus recherchées, et moins excentriques, ce qui est souvent dommage mais finalement nécessaire.
Entouré de certains des plus grand tarés du cinéma britannique, Gleeson n’est pas le seul à jouer proprement. Aidan Gillen est excellent, comme Dylan Moran, totalement barré, capable de pisser sur un tableau puis d’enchaîner sur un don à l’Eglise. Bien sûr, à travers quelques scènes comme ça, on ne peut pas nier que John Michael McDonagh soit toujours aussi déglingué que par le passé, mais il semble avoir calmé ce trait dans son cinéma. Et ça se sent, positivement d’un côté, négativement de l’autre. Car, si on voit ici une affirmation du talent du réalisateur, on remarque aussi plusieurs longueurs qui étaient plus rares dans L’Irlandais. On s’ennuie plus mais l’histoire se tient mieux et semble mieux écrite, plus sobre mais plus plaisante. Ce sont ces écarts qui rendent Calvary difficile à juger, puisqu’on voit une amélioration de certains points dans le cinéma de McDonagh par rapport à son premier film, mais ceux-ci se font au détriment d’autres points, qui étaient de qualité, et l’impression laissée est qu’il était impossible pour lui de progresser d’un côté sans perdre certaines de ses qualités. Calvary n’est pas meilleur que L’Irlandais, ni moins bon. Il est différent.