“Married, buried”
“What else could I be?
All apologies”
J’ai mis longtemps à écrire cette critique. Plus d’un an après mon premier visionnage, j’ai eu le temps de revoir le film. Et de m’interroger…
Etrange.
Etrange qu’un des meilleurs films sur la drogue, servi par une réalisation fine et intelligente, et des musiques incroyables, n’ait connu qu’un succès underground, indigne même d’un film de Sundance. D’autant plus étonnant qu’il est illuminé par des acteurs brillants : Heath Ledger (s’avérant d’autant plus crédible au vu des circonstances de sa mort), Abbie Cornish, Geoffrey Rush.
Un seul visionnage public, et encore, en festival. Pas de version VOSTFR officielle, et encore moins de VF disponible. Une réputation quasi confidentielle. Voilà ce qu’on peut appeler un beau gâchis.
Alors, pour m’avoir fait découvrir ce film, à moi et à beaucoup d’autres, un grand merci à GagReathle et sa propagande acharnée sur le site.
…Peut-être que la détresse, la vraie, celle qui n’est pas théâtrale, mais brute, quotidienne et triviale, et surtout sans significations ou but, peut-être que cette détresse a dérangé le public. Et ça bien plus que la mise en scène spectaculaire de la drogue dans des films comme Requiem For A Dream ou Trainspotting.
Pas de happy end prévu dans tous les cas, mais sur de tels sujets on préfère souvent une fin figée et trash, bien nette. Quitte à oublier ce qui se passe après, à mettre de côté la banale déchéance. Et c’est celle-ci lente, irrémédiable, qui est dépeinte dans Candy ; même si les acteurs ont des physiques de cinéma et que l’histoire est mise en scène, le réalisme me semble ici plus poussé.
Cette violence-là n’empêche pourtant pas la poésie : il y a de la beauté dans le récit de ce combat quasi perdu d’avance contre la fatalité et le fatalisme. L’absurde de ce cycle infernal n’enlève rien à la puissance du message en le vidant de son sens. Au contraire, le caractère aberrant de cette illusion de bonheur dévastatrice qu’est la drogue s’en trouve sublimé.
Et si la blonde Candy, au prénom si évocateur, est une drogue pour Dan, alors le film prend une dimension métaphorique. Pour vivre, Dan ne doit-il pas renoncer à cet amour fusionnel, aussi délicieux que nocif ?
[cliquez sur les titres pour écouter]
Un éclair blond et brun sur un tourniquet qui tourbillonne, si vite, si vite que le monde autour d’eux devient flou.
“Nos bras se tendent l’un vers l’autre, et nos veines s’étirent quand la seringue approche.”
Une sensation de vide merveilleux. Ils sont en apesanteur dans un liquide hors du temps, flottent dans un bonheur volatile ; volatile mais tangible à cet instant.
C’était si simple d’essayer. C’est si facile de se laisser porter, et parfois de faire bonne figure d’un sourire faiblard et halluciné.
“Ô ! que le capharnaüm de la vie est doux auprès de toi. -Viens coller tes lèvres sur mon sein. On a encore assez de dope jusqu’à demain.”
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Elle se tient là, à demi nue, debout dans une jungle peinte, et laisse derrière la porte un client, encore un. Elle tient de l’argent dans ses mains pâles. Pour que le produit coule encore dans leurs veines.
Il est appuyé contre un mur, et note à toute allure les numéros que lui dicte une voix au téléphone. La voix de l’homme qu’il est en train de voler. Pour que le produit coule encore dans leurs veines.
Mais peut-être que voilà leur chance. Le salut sous la forme d’un ventre qui s’arrondit. Pour que le produit cesse de couler dans leurs veines.
…
“La chute a été douce. Maintenant mon corps entier est si lourd.”
Il étouffe sous la panique. Comment revenir en arrière ? Comment remonter le temps, faire tourner le tourniquet à l’envers ? Comment ravaler leurs larmes, relever la tête ? Ressusciter l’enfant ?
Trois jours seulement. N’ont tenus que trois jours. Ont cherché partout. Avaient jeté jusqu’au moindre gramme. Casper, adjudant de malheur. La sueur, la douleur, les vomissements, le chaud, le froid, la sensation de décès imminent. Manque impossible à endiguer. La sueur, la douleur, les hurlements de Candy, ses coups sur son ventre.
“Le sang sur nos mains.”
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Sur le mur, une phrase rageusement écrite au rouge à lèvre sang.
Il se retourne, tourne encore. Partout, dans chaque pièce, sur chaque mur, l’histoire continue. Vert de l’espoir et boucles déliées dans la salle de bain, noir charbon dans le couloir. Au temps béni de l’amour en suspension, ces couleurs étaient celles appliquées sur les toiles.
Il lève la tête, encore des mots. Autrefois enfouis, ont explosés dans la rage. Le film à l’envers, les erreurs pointées, les douleurs révélées ; manque, amour, ressentiment. Haine.
“Regarde. Je t’aime si fort et si entièrement que j’ai gardé toute cette haine en moi si longtemps qu’elle est devenue incontrôlable. -Mais ce n’est pas seulement moi que tu hais. Je t’ai fait haïr la vie.”
Cette maison était le round final de ce match suicidaire, une dernière tentative de normalité vouée à l’échec. C’est le tombeau de leur amour.
« There is no going back.
I think it’s good to remember just how thin it is. »