Très belle surprise. On peut passer à côté du film si on le voit sans s'immerger : il repose énormément sur ses atmosphères, visuelles et sonores, dont la musique de Philip Glass, et notamment son mémorable et mélancolique thème principal au piano. De manière plus large sur l'aspect sonore du film, le film alterne les dialogues susurrés, mixés assez bas, dans une forme d'hypnose, et les chocs plus soudains, dans un contraste de volumes sonores comme le pratique Lynch. Les silences de certaines scènes, maintenus lors de plans inquiétants sur des couloirs obscurs, évoquent aussi Kyoshi Kurosawa.
Il est intéressant de voir aussi comment un genre forme un cercle, avec son noyau dur de films, et ceux en périphérie du cercle. "Candyman" est de ceux-là pour le slasher. Au-delà de l'habituel body-count, de la présence de certains lieux typiques comme l'asile psychiatrique, de son prologue intelligemment inséré par un récit diégétique et couvert d'images "typiques" du genre (un couple de blancs, dans une banlieue rassurante, s'amusant à convoquer Candyman), c'est surtout son boogeyman qui le rattache au genre, tueur looké, issu d'une légende urbaine, fantomatique. La structure du film et son vilain découle directement de "A nightmare on elm street" (premier slasher à assumer plus franchement le fantastique, avec son tueur-ogre et son côté conte), mais en augmentant grandement la part de réalité documentaire. Le jeu entre réalité et fantastique appartient aussi au slasher de manière générale (l'importance des faits-divers, le doute sur la nature réelle du tueur), mais là Bernard Rose travaille un contraste plus marqué entre réel et fantastique en délocalisant le slasher dans un décor de ghettos, de cités HLM qui effraient les blancs.
Idée marquante, cet appartement de l'héroïne dans un immeuble initialement construit pour devenir un HLM, avant que la mairie ne décide de lui opérer un lifting pour le vendre à des gens plus aisés car l'immeuble n'était pas assez séparé du centre-ville, autrement dit aurait trop rapproché les gens dont on ne veut pas des beaux-quartiers... L'héroïne le découvre en faisant chuter le vulgaire bout de pvc qui sépare l'arrière de sa pharmacie de la salle de bain des voisins. Un pont entre deux mondes se créé, et sera franchi dans un sens (par l'héroïne, dans son enquête), puis dans l'autre (par Candyman, par les habitants des HLM dans l'épilogue).
Pour pénétrer dans ce monde, le scénario, adapté d'une nouvelle de Clive Barker, part de deux héroïnes universitaires qui écrivent une thèse sur les légendes urbaines. Il y a un côté "X-Files" dans leur duo, d'autant que Virginia Masden (soeur de Michael), merveilleuse dans le film, ressemble assez à Gillian Anderson. Sauf qu'à la place d'un homme et une femme dans "X-Files", on a deux femmes, dont l'une noire, et le film est assez avant-gardiste pour cela, comme un avant-goût du cinéma fantastique de 2020. Et au-delà de ce choix des héroïnes et du décor, il s'agit du slasher le plus auteuriste qui existe, je crois, dans sa mise-en-scène : beauté des transitions, images aériennes sur les habitations qui se conjuguent au leitmotiv des abeilles qui s'agitent, et plans qui prennent de la distance des personnages, les incluant dans la largeur des décors, évoquant parfois les plans sur les tours HLM dans "De Bruit et de Fureur" de Brisseau.
Le film, énigmatique, remet toujours en jeu son "message". Que recouvre la métaphore, l'horreur ? La peur des blancs face aux ghettos et à la pauvreté, juste à la porte du périphérique ? L'horreur de l'esclavage qui continue de transpirer à travers les siècles sous forme de fantômes ? L'angoisse de la fin d'un couple, où le mari intello, chauve et blanc, semble draguer ses élèves, et la femme rêver d'un amant grand, noir, et dangereux ? Le film oscille entre toutes ces pistes interprétatives - et peut-être d'autres - sans nous les imposer lourdement, toujours de manière subtile, et à l'arrière-plan d'une vraie histoire fantastique inquiétante.
Cette histoire fantastique est par ailleurs plus subtile qu'ailleurs dans le cinéma "de genre", la présence de Candyman apparaissant parfois comme totalement merveilleuse (un vrai fantôme), parfois très réelle (la conséquence d'une violence réelle de ces cités laissées à l'abandon), parfois purement fantasmatique (les visions déformées d'une héroïne traumatisée). Le film prouve aussi à quel point le slasher peut être source de poésie visuelle. Les images finales sont stupéfiantes à ce niveau là. Et, aussi, il démontre que le slasher peut nicher en son sein un beau mélo, un drame amoureux touchant, qui s'incarne magnifiquement dans les toutes dernières scènes.