"Répète son nom cinq fois face un miroir, et il apparaît". Enfant, j'ai jamais eu le courage d'essayer. Faut dire que la nuit suivante, j'osais même pas toucher la VHS, impatient qu'elle reparte au vidéoclub. J'avais adoré Candyman, comme on peut aimer un film quand on est môme : en ayant peur pour de vrai, en sentant un parfum d'interdit et une odeur glauque me submerger. Quinze ans sans le revoir. Je n'en avais aucun souvenir, sauf un : la scène où le personnage éponyme, Noir colossal armé d'un crochet, devient Candyman. Serviteur d'un maître blanc qui l'accuse d'une faute impardonnable, il se verra amputé d'une main et couvert de miel, laissé aux bons soins des abeilles sous un soleil de plomb...
Ce passage là m'avait remué. C'est celui que je redoutais, l'été dernier, en empruntant le DVD. Et là, surprise : la scène n'existe pas ! Elle est racontée lors d'un dîner par un personnage secondaire, elle n'a pas été filmée. Mon imagination avait fait le reste. Incroyable, mais ça démontre bien la force de ce petit film surgi des 90's. En pleine thèse sur les légendes urbaines, Helen se met à faire des recherches sur un personnage que beaucoup jurent avoir croisé, et qu'ils désignent coupable de meurtres atroces : le Candyman. N'écoutant que sa curiosité, elle s'enfonce dans des quartiers dangereux pour une femme seule, à le recherche de témoignages, de lieux, de pistes à suivre, persuadée de tenir la clé de voûte de son travail...
En équilibre entre la crasse urbaine de ses décors de banlieue et la puissance iconique d'un personnage en perpétuel état de souffrance (des abeilles continuent d'évoluer dans ses entrailles), Candyman trace une voie assez singulière dans le sens où il ne fait ni appel à l'interprétation du public, ni à son jugement moral. La séquence inexistante dont je me souvenais comme si je l'avais vécue montre à quel point ce film-là ne dirige pas bêtement l'empathie contre le "monstre" qu'il met en scène. Au contraire, il en fait un paria, victime autant que relique d'une souffrance inhumaine. Humble malgré ses qualités évidentes, Candyman cisèle en 90mn une histoire dynamique aux rebondissement efficaces, s'assurant de divertir sans renier ses belles idées.
Car le Candyman est au fond un symbole, une idée. Sa présence rappelle que partout où nous nous allons, sur chaque trottoir, chaque coin de terre, un être humain a peut-être souffert. Par un conflit armé, une agression, un crime raciste ou mille autres raisons. Par la force des choses, le personnage est aussi un cerbère moderne, à la fois gardien des ténèbres et bourreau de ceux qui, face au miroir, mettent au défi son existence avérée. Proche de nous par ses décors, le long-métrage fait de l'imagination une porte ouverte sur le purgatoire. Le mythe, dans sa définition, est une histoire qui a su traverser les âges. Sans prétendre à la postérité, cette série B formidable ne mérite assurément pas de tomber dans l'oubli.