J'ai découvert récemment l'estimé premier film de Juliet Berto ("Neige"), que j'ai beaucoup aimé pour son originalité et son atmosphère, en dépit de vrais problèmes au niveau de la narration.
Tourné deux ans plus tard avec des moyens biens supérieurs, "Cap Canaille" vient confirmer ces faiblesses : toujours tourné en tandem avec son compagnon Henri-Jean Roger, ce deuxième long de Berto est un beau ratage, malgré des qualités formelles remarquables.
Grosso modo, "Neige" était un polar d'ambiance sur le Pigalle du début des eighties, et "Cap Canaille" reprend la même approche, appliquée à Marseille et ses environs, sauf que l'enquête narrée en arrière-plan se révèle infiniment plus complexe.
Et on ne bite absolument rien! C'est bien simple, à côté de "Cap Canaille", "The big sleep" de Hawks apparaît comme un modèle de clarté.
Une multitude de personnages mal définis, dont les liens ne seront jamais explicités, se débattent au sein d'une nébuleuse affaire impliquant des anciens de la french connection, des affairistes, des avocats, des truands et quelques flics. Il y a aussi ce duo de journalistes, et cette héroïne nymphomane (jouée par Berto) qui tentent de connaître la vérité (mais pas vraiment en fait).
Un modèle de confusion et de flou artistique laissant le spectateur complètement désemparé.
Alors certes, "Cap Canaille" est superbe visuellement, avec une photo à tomber de William Lubtchansky, mettant bien en valeur les magnifiques paysages marseillais, à l'image de la séquence finale autour de la falaise qui donne son nom au film.
Suite au succès inattendu de "Neige", Berto et Roger ont obtenu un budget confortable, et cela se
ressent au niveau de la réalisation (nombreux plans aériens) et de la distribution prestigieuse (Bohringer, Darmon, Anconina, Brialy, Chesnais, Bernadette Lafont).
Ancienne égérie de la Nouvelle Vague, Berto paie son tribut au cinéma classique en rappelant le vieil Andrex (après Raymond Bussières et Eddie Constantine dans "Neige").
Difficile toutefois pour ces grands noms de briller avec des rôles aussi peu développés.
Et puis comment prendre au sérieux Berto lorsqu'elle rappelle le travesti Nini Crépon (convaincant dans "Neige") pour lui confier le rôle d'un superflic, affublé d'une barbe postiche ridicule.
Voilà donc une œuvre singulière, pas vraiment désagréable mais totalement ratée, à l'image des nombreux plans de l'encore très belle Juliet Berto au volant de sa voiture de sport (filmée avec une certaine complaisance), ou de la composition musicale jazz-rock de l'ancienne actrice Elizabeth Wiener, qui rappelle celle de Nina Hagen dans "L'année des méduses", pour citer un film proche dans le temps et la géographie.