Capharnaüm est un film de petites combines, où on s’autorise des mauvais gestes pour mettre du beurre dans les épinards. Un comportement attribué d’habitude à des personnages paumés dans des polars à la Pusher, sauf qu’ici la petite frappe cède sa place à un enfant débrouillard. Et que le contexte géographique n’est pas le même. Labaki comprend ce qu’elle filme et ne joue par la carte de la surenchère visuelle. Son intention, louable, est de ne pas vulgariser ou trahir son propos par une mise en scène inadaptée. Ses plans, eux aussi, respirent la débrouille, le pris sur le vif. Le cadre n’instaure pas de confort. La mise au point navigue à l’aveugle, s’accroche, décroche, bondit entre les nombreux éléments qu’elle a à saisir.
Hélas le film s’effondre lorsque Nadine Labaki, avec sa casquette de scénariste, décide de réduire à néant tout ce qui rendait sa première partie admirable. Elle insère dans son récit une mère sans-papiers, obligée d’abandonner son enfant en bas âge. C’est le jeune Zain qui en hérite, sans savoir véritablement quoi en faire. Une tâche trop lourde pour ses épaules et trop lourde pour un film qui noie son propos dans une flaque abondante de pathos. Ce n’est plus Labaki la réalisatrice que l’on remarque mais la scénariste. Et pour des mauvaises raisons.
Elle donne l’impression de vouloir faire deux films en un, le premier sur un enfant et l’autre sur une sans-papiers, pour dépeindre dans sa globalité la misère du Liban. Sa mise en scène perd de sa force face à ce trop-plein d’éléments, nuisant à l’équilibre. Le spectateur se sent pris en otage par un film qui dévoile ses grosses ficelles sans aucune finesse. Là où la première partie marquait par son impression de vérité, la seconde est trop dominée par la présence d’un scénario fabriqué pour provoquer des émotions. La réalisatrice n’est plus guidée par son désir de capter l’urgence de l’instantanéité d’un quotidien instable mais par le déballage de branches de son scénario qu’il aurait mieux fallu ne pas laisser pousser pour le bien de l’ensemble.
Jusqu’au bout elle échoue à porter avec constance son film à cause de choix maladroits. Lorsqu’elle décide d’elle-même interpréter une avocate impliquée dans le procès de son jeune héros. Labaki s’impose à l’écran en défenseuse d’une jeunesse à l’abandon. Comme si son film ne suffisait pas à le faire, elle en rajoute une couche pour s’assurer que son combat est bien compris de tous. On la rassure, l’éloquence de Capharnaüm est réelle. Sa légitimité à parler d’un tel sujet et son envie de bien faire ne sont pas à remettre en question. C’est la manière qui pose problème, ses effets tire-larmes et sa surenchère pour surligner son propos. Son film n’est qu’une demi-réussite mais aura au moins eu assez d’influence pour changer la vie de ceux qui l’animent. Zain Al Rafeea et Yordanos Shifera ont depuis vu leur vraie situation précaire s’améliorer. Nadine Labaki n’aura donc pas fait tout ça pour rien.
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