Roger Vercel : un des dix auteurs de mon Top 10.

Son roman historique, "Capitaine Conan", en partie autobiographique, paru en 1934, est une belle et âpre évocation de la Première Guerre mondiale non sur le front français mais sur le front oriental où Vercel y finit la guerre. Pas le 11 novembre 1918 mais un an plus tard car l'armée française du front d'Orient eut la "chance" ou le "privilège" de faire partie du nouveau "théâtre des opérations extérieures" où le nouvel ennemi était l'ancien allié russe. Je veux dire l'armée bolchevique. Ce roman est utile car dévoile un pan de cette guerre meurtrière que beaucoup de gens ignorent.

Par-dessus tout ceci, Bertrand Tavernier s'empare du roman pour l'adapter au cinéma.

Alors que le roman démarre à l'armistice et aux activités désormais ordinaires d'un corps d'armée en temps de "paix" en pays occupé et que la guerre n'y apparait qu'à travers des flash-backs, Tavernier a choisi le mode complètement chronologique et fait donc démarrer le film quelque temps (septembre 1918) avant l'armistice.

Cela a l'avantage pour Tavernier de lui faciliter la définition du capitaine Conan en action pendant la guerre des tranchées. En d'autres termes, le spectateur a une image assez immédiate du bonhomme alors que le roman construit l'image, peu à peu, au fur et à mesure de l'avancement. Je pense aussi que l'adaptation du roman tel quel, aurait probablement été moins immédiatement intelligible pour le spectateur et plus casse-gueule.

J'ai bien aimé la mise en scène de ce capitaine qu'on commence à voir à l'œuvre avec son "corps-franc" dans les tranchées, baïonnette à la main en train de frapper, crever, trancher l'ennemi dans des corps à corps furieux, épouvantant l'ennemi survivant. Son nom n'est pas cité, il me semble, immédiatement. On ne découvre le nom de Conan qu'au détour d'une phrase. Sa fureur est permanente ; sur le champ de bataille mais au retour au cantonnement car rien ne compte plus que son groupe qu'il tient sous sa poigne de fer. C'est le genre d'homme qui vit intensément la guerre comme il n'avait jamais vécu auparavant. Sa vie, c'est la guerre. Il est un guerrier. Avant, sa vie n'était rien (la mercerie et la vente de chemises sur les marchés) et après, sa vie ne sera plus qu'un long naufrage.

Il n'a que mépris pour le reste de l'armée et en particulier pour tous ces officiers issus de Saint-Cyr, "qui t'en font baver pour mieux rester au chaud".

En substance, "Il n'y en a que trois mille à avoir gagné la guerre tandis que tous les autres n'ont fait que la guerre"

Mais lorsque le groupe de guerriers se retrouve au casernement à Bucarest, désœuvré, c'est la débandade, les exactions. Finalement, ce sont des gens devenus inaptes à la vie civile, aux règles de la civilisation. Tavernier le souligne mais c'est, certainement, une constante. Toute guerre, non seulement autorisant le crime (contre l'ennemi) mais le récompensant, ne peut que générer cette sorte de de gens qui ne pourra plus retrouver l'atmosphère paisible d'une vie civile. Au mieux, ils s'ennuieront (comme Conan), au pire, ils deviendront voyous.

Face au capitaine Conan, il y a son ami, au civil, un licencié en lettres, qui l'admire et qui est fasciné par le bonhomme. Norbert, dans le film. En fait, on reconnait une partie de Roger Vercel. Un homme de conviction et de justice. Un homme droit. Le seul humaniste dans ce monde de dingues.

J'aime beaucoup le jeu de Philippe Torreton dans le rôle de Conan, dans lequel je pense qu'il s'est beaucoup investi. Peut-être un de ses plus grands rôles. Il est très convaincant.

Le rôle du lieutenant Norbert est tenu par Samuel Le Bihan dont je trouve le ton juste. Ici il est témoin, il est donc mesuré et se démarque du guerrier Conan en refusant de le suivre dans ses délires tout en ressentant une profonde empathie pour lui.

D'autres rôles intéressants sont tenus par de grands acteurs comme Berléand dans le rôle du commandant Bouvier ou Claude Rich dans le rôle du général. Le choix du casting me fait toujours sourire car Tavernier aurait voulu démontrer que les (grands) chefs étaient plutôt préoccupés de passer à travers les gouttes (tout en prenant du galon) qu'il ne s'y serait pas pris autrement. Il fallait des acteurs avec de la prestance, de la gueule, de l'entregent ; Rich et Berléand me semblent the "right men" …

Bernard Le Coq dans le rôle du lieutenant de Scève, ami de Conan et par contre coup de Norbert, est pas mal dans le rôle de l'aristocrate qui, par conviction s'engage et va au charbon parce qu'il y croit. Dans son rôle, il me fait penser un peu à Pierre Fresnay/ de Boïeldieu dans "la grande Illusion". L'entrevue entre Conan et De Scève à propos d'un soldat froussard et déserteur est un modèle du genre en deux personnes à la base si différentes et pourtant si semblables (même si la scène va bien plus loin dans le film que dans le roman)

J'ai bien aimé aussi la sobriété du générique de début de film avec la chanson roumaine triste chantée par une certaine Crina Muresan sur fond noir avec juste un bucher en arrière plan des caractères qui défilent : l'art (de Tavernier) de l'entrée en matière en tension.

En guise de conclusion, "Capitaine Conan" est un des films de Tavernier que je préfère. Bien entendu, Tavernier y exprime de manière plus frontale son aversion pour la chose militaire que Vercel ne l'a fait dans son roman (qui date quand même de 1934). Mais ça, ce n'est vraiment pas pour me déplaire …

JeanG55
9

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le 12 déc. 2023

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JeanG55

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