S'il n'est plus à son coup d'essai, Paul Greengrass parvient encore à étonner par son style. Avec son sens du rythme inimitable, il offre une montée en pression savamment dosée clouant le spectateur bien au fond de son fauteuil en assurant à la tension de ne jamais subir aucune baisse de régime. Maître de son film et de son sujet la transition entre les deux parties se fait sans à-coups et il s'assure de consacrer assez de temps et d'énergie à chaque camp afin d'en développer le potentiel sans jamais que cela ne desserve l'histoire au scénario simple mais efficace rythmée par de réels rebondissements. D'ailleurs le réalisateur de « Vol 93 » et « Bloody sunday » n'est pas un faiseur de série b incapable de conclure, il s'applique à créer pour son film une fin de haute volée maîtrisée et poignante, au découpage soigné où la tension atteint son apogée créée par un de ces moments de lucidité effrayant où vous savez que l'inéluctable si longtemps repoussé et sur le point de se produire.

Caméra à l'épaule, Greengrass ne se permet pas la caricature des riches civilisés contre les sauvages d'Afrique, il insuffle de la subtilité et de la nuance à son film. Aussi terrible soient les pirates dans leur volonté de tout faire pour de l'argent, allant jusqu'à tuer de parfaits innocents s'il doivent en arriver là, il leur offre une dimension humaine et fait d'eux des victimes au même titre que ceux qu'ils attaquent. On a ce type, Muse, chef de sa petite troupe, misérable et courageux, qui fait ce qu'il fait non pas par amour de la piraterie ou par simple volonté de faire le mal, mais parce que lui aussi a des chefs qui lui fixent des objectifs, des chefs qui ne s'exposent pas et le lâcheront dès que le besoin s'en fera sentir. Englué dans ce cercle de violence il doit faire son travail pour espérer rester en vie avant même de mettre sa vie en danger en accomplissant son travail et pour un bénéfice quais nul. À un moment il se vante d'avoir capturé un vaisseau grec l'année précédente qui lui aurait rapporté six millions de dollars, on peut penser qu'il se vante, mais à sa réaction quand le capitaine Phillips lui fait remarquer le paradoxe qu'il y a à avoir gagner autant d'argent et à en être toujours à pratiquer la piraterie, il devient évident qu'il n'est qu'un homme de main des plus quelconques. Rien de ce que ne lui rapportera ses actes ne l'aidera à améliorer son niveau de vie et c'est encore plus vrai pour son équipage, jusqu'au petit Bilal, 16 ou 17 ans au mieux qui est venu sans même savoir pourquoi, ni ce qu'il devrait endurer, juste parce qu'il faut bien trouver du boulot si on veut manger. Paumés, l'arrivée sur place des militaires achève leurs derniers espoirs et les mets dos au mur, pourtant à aucun moment ils ne songent à abandonner et sauver leurs vies qui ne valent finalement pas grand chose si ce n'est de leur offrir le vain espoir d'obtenir plus que ce qu'ils n'ont jamais eu.

Côté acteur si certains salueront la prestation d'un Tom Hanks habituellement monolithique enfin décidé à proposer quelque chose de différent, j'ai particulièrement apprécié l'interprète de Muse (Barkhad Abdi) dont c'était il me semble le premier rôle notable. Véritable incarnation de son personnage, son immersion au sein du rôle qui lui était proposée s'est avéré bluffante. Révélation de l'année en ce qui me concerne.

D'une certaine façon j'ai presque eu le sentiment que ce film traitait plus du destin tragique de ces pirates embrigadés de force et condamnés à mourir manipulés par d'impitoyables seigneurs de guerre, que de l'histoire de cet équipage d'hommes normaux confrontés à une situation extrême qui engageaient leurs vies à tous. Entreprise de taille impressionnante, Greengrass s'en tire sans accroc et nous livre une nouvelle œuvre forte qui s’impose aisément comme l'un des meilleurs films de l'année !
-Cédric-
8
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le 28 nov. 2013

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-Cédric-

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