Extérieur jour. Un petit parc tranquille de Paris, un parfum de printemps qu’on devine délicieux. Un homme est assis sur un banc public, en train de lire. Un enfant est appuyé contre lui, lui aussi un bouquin à la main. L'homme, Clément, lui propose d'aller jouer au ballon, voire de lui prêter son téléphone pour qu'il puisse jouer aux jeux vidéo qui s’y trouvent, mais rien n'y fait, son fils, puisque c'est son fils, reste plongé dans son livre. Plus tard, ils quitteront le parc, chacun absorbé dans son ouvrage.
Tel est le film d'Emmanuel Mouret. Un film où les personnages n'obéissent pas aux schémas pré-établis. Cet enfant, plus tard, explosera d’une joie sauvage, car il recevra tout Victor Hugo dans la Pléiade. Cet homme, plus tard, fera de la peinture à la main avec ses élèves sans se soucier d’aucune intendance, d’aucun aspect pragmatique. Des personnages libres, donc.
Caprice est un film tendre, délicieusement comique. Après s'être égaré le temps d'un film vers le drame qui lui sied moins, le réalisateur marseillais revient vers la comédie, la comédie romantique pour être précis, un genre qu'il peaufine sans l’émousser, pour notre plus grand bonheur.
L'histoire s'articule autour de Clément, un instituteur un peu rêveur, un peu lunaire, qui vit dans ses livres et les pièces de théâtre. Un soir, au théâtre justement, il croise une jeune fille pétillante et pleine d'aplomb, Caprice, qui le dévore quasi littéralement des yeux en inventant les prétextes les plus farfelus pour entrer en contact avec lui. Lui-même semble ne rien capter de tout ce manège, ses yeux embués de larmes tournés entièrement vers la scène, vers la grande actrice Alicia, vers la femme de ses rêves.
Alicia, c’est une blonde fatale digne des grands classiques des années 40 et 50. Virginie Efira l’incarne impeccablement, belle, distinguée, évanescente, inaccessible... ou pas, car dans l'univers idéal d'Emmanuel Mouret, tout est possible en effet, l'amour est une force qui permet tout, qu’un modeste instituteur soit élu par la grande star pour partager sa vie et son luxueux 250m2. De l’autre côté du triangle amoureux, Caprice la belle tentatrice ose tout pour attirer Clément, essaie tout, y compris la mauvaise foi patentée quand elle affirme que vouloir rester fidèle à Alicia est de la part de Clément une sorte de paresse de celui qui ne veut pas trop se fouler, Caprice imagine tout au nom de cette même motivation, de cette même énergie amoureuse. Les quiproquos ne tardent pas à s'accumuler, mais comme l'annonçait la séquence d'ouverture quasi programmatique du film, les protagonistes nous surprennent constamment en n’étant jamais là où on les attend.
Le film est très drôle, mais d'une drôlerie un peu surannée, avec des comiques de situation que le réalisateur maîtrise particulièrement. Les mêmes situations loufoques que l'on a vues dans « Un baiser s'il vous plaît » ou encore dans « Fais-moi plaisir », qu'on peut sans exagérer affilier à Capra, mais également à Keaton, toutes proportions gardées évidemment. Choisis par Mouret réalisateur pour Mouret acteur, ces moments épiques sont parfaitement exécutés.
Mais cette drôlerie est un leurre que le réalisateur nous envoie. Derrière les pitreries, il y a une vraie question, une vraie angoisse que partagent tous les personnages, au delà des principaux. Caprice a en effet un « amoureux » régulier, Jean, dont elle ne sait pas vraiment que faire ; Thomas, le meilleur ami de Clément et le directeur de l'école où il enseigne, est abandonné par sa compagne, et est lui aussi attiré par Alicia qui, elle-même,... Il semblerait que l’amour est vraiment illusoire, circonstanciel, intangible, et pour tout dire utopique. Ce qui anime les personnages c’est la poursuite de l’homme idéal, de la femme idéale, au risque de passer à côté de l’amour, le vrai…Ce qui est important, c’est le chemin, pas la destination, et à la fin du film, on voit que ce sont les absents qui gagnent la partie, le piédestal. Un constat amer et peu reluisant, tout compte fait.
Même si l’affiche du film isole le personnage d’Alicia sur une colonne Morris, le film s’appelle Caprice, et c’est véritablement Anaïs Demoustier qui est la star du film, peut-on encore parler à ce stade de « révélation ». Hasard du calendrier, Emmanuel Mouret sort ce film sur fond de marivaudage, peu de temps après Jérôme Bonell et son « à trois, on y va ! », une autre (intéressante) forme de « ménage » comme diraient les américains, ces fous. Dans les deux cas, Anaïs Demoustier met le feu aux poudres avec sa fausse candeur, sa vraie impertinence, celle qu’elle a déjà déployée dans « L’enfance du mal » d’Olivier Coussemacq, son jeu trouble qu’elle a aussi mis récemment au service de François Ozon pour sa « Nouvelle amie ». On ne sent aucun calcul dans son jeu, tout est fraîcheur et sincérité, c’en est désarmant.
Pour toutes ces bonnes raisons, il faut aller voir Caprice, un film dénué de tout cynisme, un feel good movie qui ne tombe certainement pas dans la mièvrerie, une comédie romantique qui n’est certainement pas parfumée à l’eau de rose.