La planète des pingres
Behind, quand on lui parle d'invasion extra-terrestre, de l'asservissement subséquent et d'un réseau de résistance, il retombe instantanément en enfance et se souvient d'une série qui l'a...
le 3 avr. 2019
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Après séance (vu le 03 avril 2019)
Dans Captive State, les humains sont séquestrés par des extraterrestres colonisateurs. Mais à la sortie de la salle, c’est la plupart des spectateurs qui semble captif de la vision blockbusterisées des films de science-fiction… Probablement trop habitués aux vaisseaux clinquants de J.J. Abrams et aux frénétiques explosions de Michael Bay, le public est sonné et s’empresse de coller au film un 1/5 sur Allociné. A leur tour, les critiques démolissent le film, frustrées de ne pas avoir vu la Maison blanche péter, ou des gros hommes verts faire « piou piou » avec des pistolets laser… Maintenant qu’ils sont tous en cure, en train de se refaire tous les Transformers pour reprendre du poil de la bête, nous allons pouvoir parler sérieusement de Captive State.
Les extraterrestres ont donc envahi la Terre, et gouvernent aujourd’hui depuis les sous-sols. Les villes sont emmurées et les humains plus-ou-moins réduits à l’esclavage. La grande majorité de la population a accepté ce nouvel ordre. Avec l’arrivée des « Législateurs », la criminalité et le chômage ont baissé, les problèmes liés à l’environnement et à l’exploitation des ressources ont été résolus… Mais une poignée de résistants refuse cette occupation et œuvre clandestinement pour y mettre un terme.
Bon, je vais arrêter de faire mon bonhomme condescendant, j’avoue que très vite, moi aussi, j’ai été surpris par l’angle adopté dans Captive State. Je m’attendais également à un film d’invasion extraterrestre assez classique. Après coup, je me suis dit que j’avais dû être faussé par la communication du film, mais même pas. Pour l’avoir revue récemment, la bande annonce est assez claire : « Chaque révolution a besoin d’une étincelle ». Le film se charge alors de nous montrer la naissance de cette lueur. Non, si j’ai été faussé, ce n’est que par mes attentes post-modernes, par ma volonté inconsciente de retrouver les codes que je connais déjà. Et mon cerveau a bien mis 30 minutes a rebooté (stupid brain), faut dire que Captive State commence sur les chapeaux de roue. Après une haletante scène en voiture, le générique à la Matrix nous campe la situation en usant de flash info, de vidéo-surveillance ou de forums du dark web. Passé ces cinq premières minutes, le film fait tomber le masque, montre son vrai visage, et délivre par la même occasion son véritable message. Un message bien plus intéressant et original que ce à quoi nous pouvions nous attendre.
Un peu comme dans Premier contact, les aliens sont qu’un simple MacGuffin, qu’un prétexte pour servir ici une allégorie politique. Captive State est en réalité un film d’espionnage critiquant la société Big Brother. Il est question de résignation ou à l’inverse de résistance. Il n’est donc pas surprenant de voir Rupert Wyatt citer comme référence Jean-Pierre Melville, résistant et réalisateur de nombreux films sur l’Occupation comme l’Armée des ombres notamment. Ici, le monde a signé l’armistice, obligeant la résistance à (sur)vivre clandestinement. Nous sommes presque dans du post-apocalyptique où l’arrivée des aliens aurait remplacé la catastrophe nucléaire. C’est à la fois un univers de pure science-fiction, et un récit faisant ostensiblement écho à notre monde actuel. Les problématiques, les questions, les tensions, ce sont celles que nous vivons actuellement mais décuplées parce qu’un humanoïde porc-épic extraterrestre a été ajouté à l’équation, c’est tout. En réalité, cet univers est le nôtre. Nous retrouvons nos villes, nos fringues… Pas de gadgets futuristes malgré que l’intrigue se déroule vers 2030, au contraire les technologies ont régressé : vinyles, cassettes, polaroids, et même pigeons voyageurs…
Light a match, ignite a war.
Et qui peuple cet univers si familier ? Bah après 1h50 de film, impossible de citer le nom du moindre résistant. Dans la plupart des œuvres, j’aurais probablement relevé ce point comme un défaut, mais dans Captive state, cela fait sens. Les humains n’existent plus individuellement, ils ne vivent que pour la cause, ou pour servir les Législateurs. Les personnages que nous suivons sont donc très peu développés, et c’est purement volontaire à mon sens. Ce ne sont plus des êtres humains dotés d’émotions, de sensibilité, ils ne sont que les pièces d’un puzzle les dépassant totalement. Et au final, les résistants sont contraints d’agir dans une organisation underground toute aussi souterraine que les aliens. Les personnages sont déshumanisés, même la scène où Gabriel (Ashton Sanders) retrouve son frère Rafe (Jonathan Majors) qu’il pensait mort est dénuée de toute émotion. Tous deux ont déjà en tête la suite du plan, leur sacrifice ou leur quête de liberté. Évidemment, sur ce point, Captive State est déstabilisant et nous pourrions très rapidement reprocher des faiblesses scénaristiques ou une pauvreté d’écriture. Mais cela serait à tort je pense. Lorsque Gabriel disparait pendant plus d’un tiers du film, j’ai saisi que nous n’allions pas suivre comme à l’accoutumé un personnage servant de véhicule émotionnel, sur lequel nous pouvons nous identifier facilement. Dans Captive State, l’immersion se fait par toute une galerie de personnage, qui resteront pour la plupart anonymes. Seul Mulligan sort un peu du lot, en grande partie par la très bonne prestation de John Goodman toute en tension, en mystère sur ce rôle en contre-emploi.
You have a choice to make. Work for me, or windup like your father.
Attention, Captive State n’est exempt de tout reproche, il y a évidemment des choses qui m’ont fait un peu tiquer. Comme lorsqu’on nous montre Gabriel récupérer de l’eau croupie pour se brosser les dents et que sa copine se fait couler un bain chaud 10 minutes après… Ou le fait de coller une énorme LED rouge sur les colliers désactivant l’implant alors que c’est interdit et qu’il faut rester discret… Et puis, on peut légitimement se poser quelques questions sur le déroulement de la mission dans son ensemble. Le film nous montre à quel point sa réussite dépend d’une multitude de petites actions réalisées par tout un tas de personnes. Mais tout cela était-il nécessaire pour arriver à l’objectif final ?
Quel est le plan ? Utiliser le code inscrit sur une cigarette pour infiltrer le réseau de surveillance. Retirer les implants de trois personnes pour leur installer d’autres plus safe, infiltrer le stade où se déroule la cérémonie, approcher l’adjoint au maire pour lui coller un steak caméléon extraterrestre invisible (même pour les aliens…) qui explose et tue tout le monde. Se faire volontairement tuer ou capturer pour que Mulligan exhume l’organisation Phoenix, trouve N°1 (Vera Farmiga) et rende public les indiscrétions du chef Igoe (Kevin Dunn). Descendre en zone interdite grâce à la promotion de Mulligan et faire péter un encore plus gros steak caméléon invisible… Ok, donc le plan est grosso-modo de destituer le chef de la police pour prendre sa place et infiltrer la zone interdite. Cela nécessitait-il vraiment tous ces sacrifices ? N°1 étant de mèche avec Mulligan, tout le monde savait que le chef Igoe avait délivré des secrets sur l’oreiller, pourquoi ne pas envoyer une jolie cassette anonyme pour le sortir du game ?
La complexité du plan fait partie du film, elle participe à l’expérience du spectateur. C’est notamment cela qui donne aux cinq dernières minutes de Captive State toute leur intensité. Mais je ne peux reprocher à certain-e de trouver ça capillotracté. Ça l’est, volontairement. Une manière de perdre le spectateur pour mieux le surprendre, et Rupert Wyatt a une démarche similaire sur la réalisation de son film.
Parce qu’avec un scenario de cette envergure, Captive State aurait pu être un film beaucoup plus contemplatif, usant de grands plans larges pour bien visualiser la menace, pour représenter tout le contexte de l’intrigue. Hormis peut-être en raison de contraintes budgétaires (25 millions de dollars « seulement »), Rupert Wyatt n’a surtout pas souhaité mettre le spectateur dans une position confortable. Le doute, l’incertain, le flou font partie de l’immersion. On se questionne de la même manière que les membres de la résistance, petit pion à l’échelle du projet. Pour cantonner le spectateur à ce point de vue très individuel et purement terrestre, quasiment tout le film est en caméra épaule. Ce n’est pas très joli, c’est assez brut, ce qui donne aux images un aspect « documentaire en immersion » comme dans District 9 ou Les Fils de l’homme par exemple.
Restons sur les trucs dégueulasses mais qui, bizarrement, n’impactent pas la note du film : les effets spéciaux. Globalement, les aliens, pour ce qu’on en voit, sont assez mal fait. Mais lorsqu’on a compris que l’ambition de Captive State n’est ni de te faire flipper, ni de t’impressionner avec les meilleurs effets d’Hollywood, on relativise. Surtout que, même si la réalisation finale laisse à désirer, les idées sont assez originales. Le film propose tout un bestiaire : les drones-ventouses, les arachnides, les porcs-épics mutants, les chasseurs, mais aussi les implants ou les steaks caméléon qui sont aussi organiques. Tout ce petit monde vaque au plein cœur d’un Chicago sans fioritures, poussiéreux, brumeux, pollué… Les couleurs sont ternes, aussi bien les décors que les costumes pour la plupart noirs ou foncés, reflétant le renoncement des humains. Une DA très monochrome, uniforme à l’exception de quelques plans épars qui sortent du lot : celui du chien qui aboie à l’arrivée des chasseurs ou le plan rouge à l’intérieur du bus. Globalement, les scènes fourmillent de détails, à l’excès pour accentuer l’impression de claustrophobie.
Une inquiétude également marquée par une excellente BO très prenante. Le thème principal par exemple mélange des percussions, des sons inspirés de sirènes d’alarme et des sonorités organiques. C’est prenant, envoutant, et rappelle parfois certains thèmes d’Annihilation (d’autres créatures mal-foutues…).
Harmony. Peace. It’s a lie. Everything they’re telling you is a lie.
Rupert Wyatt est un réalisateur discret, exposé au grand public avec le premier volet de La planète des singes, saga reprise par Matt Reeves suite au départ de Rupert Wyatt en raison de délai de production trop court. Captive State marque son retour au cinéma et à la science-fiction après le demi-échec de The Gambler, son départ (encore un) du projet Gambit prévu pour 2020 et son passage à la télévision sur la série l’Exorciste. Annoncé en 2016, Captive State a également été écrit par Rupert Wyatt, ce qui explique peut-être cet angle si assumé et original (même si les rapprochements avec V ou Colony sont troublantes). C’est une vraie proposition à laquelle je ne m’attendais pas. Les trente premières minutes du film sont forcément assez difficiles. Cela parait lent, fouillis mais ce n’est dû qu’à notre habitude aux blockbusters d’action / science-fiction. Alors, ne soyez pas si captif.
Bonus acteur : NON
Malus acteur : NON
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Créée
le 11 avr. 2019
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