Blanc comme neige.
Après une poignée d'oeuvres plus confidentielles, Atom Egoyan revient à un cinéma plus accessible, plus grand public, avec The Captive, présenté au festival de Cannes en 2014. S'articulant autour...
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le 11 févr. 2016
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J’avoue qu’après avoir vu la bande-annonce, je n’avais clairement pas l’intention de me déplacer pour ce « Captives »…
Mais bon, j’ai ensuite aperçu le nom d’Atom Egoyan et je me suis rappelé à quel point les distributeurs pouvaient déformer tout un long-métrage juste pour que cela corresponde à leur image du film vendeur.
Je suis donc passé outre. Je suis allé voir « Captives ».
Et pour le coup : bien m’en a pris.
Et je le dis pour tous ceux qui en douteraient : ce film n’a pour moi rien à voir avec un banal thriller autour de la thématique de l’enlèvement d’enfants. Ou plutôt disons qu’il sait aller au-delà de ça. Au-delà du simplement « banal ».
Parce qu’en effet, il sera quand même bien question d’une petite fille qu’on a capturé à l’arrière d’une voiture et que son gentil papounet va s’efforcer de retrouver. Et à bien tout prendre, l’intrigue de ce « Captives » respecte grosso modo la structure classique d’un thriller de ce type.
Cependant, la patte d’Atom Egoyan se fait vite sentir.
On n’a pas ici affaire à un banal « Prisoners » qui se contente de nous dérouler de la bonne grosse sensiblerie bon marché en passant par les étapes habituelles : rapt / perdition des premiers instants / effondrement / rage / folie / moments de doute / puis la piste inattendue qui va permettre de tout résoudre à la fin…
Non, par son « Captives », Atom Egoyan s’efforce de casser toute ce schéma là en optant pour une construction de l’intrigue plus fragmentée. Désordonnée.
Et si certains pesteront contre ce qu’ils percevront comme une vilaine astuce de l’auteur pour donner à son œuvre un semblant de fausse complexité, moi je préfère y voir un artifice habile qui permet un ressenti particulier.
Oui… « Artifice, c’est bien le mot qui correspond ».
Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est le personnage de la jeune Cassandra. Et tout le monde sait bien que la vérité sort de la bouche des enfants… ;-)
Et quel est donc ce ressenti particulier qu’offre une telle narration fragmentée ?
Eh bien justement, je trouve qu’elle offre une véritable sensation de captivité. A la fois la « captivité de tous ». Mais aussi l’idée d’une « captivité partout ».
Car au fond, à morceler ainsi les parcours de chacun – celui de Cassandra, celui de Matthew et de Tina, celui des détectives Dunlop et Cornwall, et même celui des ravisseurs – chacun est présenté dans sa propre prison, sans qu’on comprenne vraiment qui est captif de qui.
Qui est captif de quoi.
Car après tout, entre la chambre dans laquelle vit Cass et celle dans laquelle travaille Tina, entre l’habitacle de Matthew et l’écran dans lequel se fiche en permanence le ravisseur, les distinctions sont troublées et sont troublantes, d’autant plus que l’auteur parvient à jouer des formes et des lieux. Toutes les pièces sont faites du même bois – littéralement – et les lieux de vie de chacun, tous très anguleux et dépouillés, floutent les limites qui pourraient / devraient exister entre les espaces de captivité et les espaces de liberté.
Et puisqu’en plus de cela, l’auteur a décidé d’épargner au spectateur toute image ou toute situation qui pourrait être frontalement ou suggestivement choquante, il en ressort une atmosphère où tous les espaces sont lissés les uns par rapport aux autres, ce qui peut générer une vraie impression d’égalisation entre des partis pourtant bien différents. Une confusion morale qui pourra en perturber quelques-uns mais qui, moi, a su... eh bien me « captiver ». justement.
Car après tout, dans ce film, la captivité est partout.
Tout le monde fuit ou accepte cette cage qu’il a autour de lui.
Tina est captive du souvenir de sa fille.
Matthew captif à la fois du sentiment de culpabilité mais aussi de l’image de potentiel-coupable que son passé lui colle à la peau.
Le détective Cornwall est captif de son passif dans la criminelle qui le fait adopter des comportements inadaptés à son nouveau service.
La détective Dunlop est captive du système policier qui l’oblige à lever des fonds. Et on apprendra même que si elle s’est retrouvée à faire ce métier, c’est parce qu’elle fut elle aussi une victime par le passé.
Même le ravisseur est au fond lui aussi un captif. Captif d’une nostalgie. D’une dépendance affective. D’un besoin viscéral de se raccrocher aux émotions fortes des autres.
Au fond, Cass n’est pas la seule captive dans cette histoire. Et le simple fait que ses rapports avec son propre ravisseur se soient, avec le temps, presque normalisés trouble encore plus les cartes. Les cartes d’un film dans lequel la captivité devient un démon avec lequel on apprend à cohabiter, même contre soi…
C’est ce ton qui fait de « Captives » un film à l’atmosphère assez malsaine, parvenant ainsi à poser la dernière et la pire des cages pour le spectateur comme pour les personnages : le doute permanent.
Parce qu’à tout mettre ainsi au même niveau et à brouiller les cartes tout le temps, le sens de toute cette histoire finit par nous échapper quelques-fois, au point que tout puisse être remis en cause.
Tina est-elle folle quand elle retrouve des objets du quotidien de Cass ?
Matthew a-t-il vraiment des choses à cacher autour de cette histoire ?
Il y a-t-il des complices là où on n’ose pas en voir ?
Et Cass, de son côté, est-elle seulement restée Cass ?
En cela, l’exécution d’Egoyan est d’autant plus appréciable qu’elle est maitrisée et cohérente de bout en bout, même si elle n’empêche pas quelques ratés.
Je pense notamment que le personnage de Mika aurait mérité d’être traité avec encore davantage de subtilité. S’il fonctionne remarquablement bien quand il se montre des plus ambigüs à l’égard de Cassandra, il sombre trop souvent dans la caricature du gros méchant tout vilain, ce qui vient parfois déstabiliser tout l’équilibre mis en place.
Et même chose finalement pour tout ce qui concerne les quelques petites ficelles de thriller auquel le film a recours afin de faire tenir son édifice dans les canons du genre. Certes, ces ficelles ont leurs utilités narratives mais, encore une fois, elles nous ramènent vers le giron d’œuvres plus standards aux émotions plus faciles, alors que ce n’est clairement pas l’intention et la prétention affichées.
Ainsi donc, même s’il n’est pas pleinement parfait, « Captives » parvient malgré tout à jouer avec beaucoup d’intelligence d’un genre très codifié pour en tirer quelque-chose de plus singulier et malaisant d’accoutumée.
En ressort une impression de film lisse et poisseux à la fois.
De bien propre et d’en même temps terriblement sale.
En somme, encore un film d’Atom Egoyan. Incontestablement.
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Créée
le 27 sept. 2017
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