Primé au festival du film indépendant de Sundance, Capturing the Friedmans aborde un sujet aussi délicat qu'épineux qui trouvera en chacun de ses spectateurs un écho incroyablement intime et donc difficile à verbaliser et à rationaliser. Comment parler, en dépassionnant le débat, en tentant de dépouiller les faits de leurs relents hideux tout en s'abstenant de devenir complaisant, de la pédophilie ? C'est tout le dilemme de ce film, brillant documentaire signé Andrew Jarecki, qui s'attarde sur le destin compliqué d'un père de famille, accusé d'avoir abusé sexuellement de jeunes enfants avec la complicité de son troisième fils. Loin de stigmatiser le personnage et de noircir le tableau avec des effets de style vulgaires et populistes comme en ont le sercet certaines équipes de TF1 et de M6, Capturing the Friedmans fait le pari de l'intelligence de son spectateur, et brosse un portrait tout en nuances de ce père de famille modèle, pédophile déclaré (il ne s'en cachera pas une fois arrêté), que pourtant tout semble montrer comme innocent dans l'affaire en question.


Dynamique, atmosphérique, jamais grossier ou démagogique, ce qui aurait été une erreur catastrophique dans le contexte, le film évite les lieux communs pour tenter de dénouer un à un les fils d'une vérité dont nous ne connaîtrons jamais totalement la teneur. Grâce aux images tournées par la famille elle-même, Capturing the Friedmans se double d'un portrait de famille comme on en a rarement vu à l'écran : plein de déchirements, de relations compliquées, de rancoeurs, mais aussi d'amour - un peu. L'amour d'un paternel d'apparence sympathique pour ses enfants, et vice versa, l'éloignement d'une mère traitée comme un ennemi, et bien sûr la complexe dichotomie entre un père idéalisé et un pervers sexuel, tel qu'il est décrit par les policiers et les témoignages de victimes qui ne dissimulent rien des horreurs qu'ils ont (ou auraient) subies.


La psychose pédophile s'empare de la ville, et Jarecki va posément tourner une à une les pages de ce dossier sinueux, où chaque réponse amène son lot de questions, où la vérité s'échappe perpétuellement. Capturing the Friedmans est-il totalement impartial ? Non. Jarecki a une opinion, et ne s'en cache pas. Son documentaire a cependant l'immense mérite de démonter une à une les certitudes, de provoquer le spectateur, de constamment le faire douter, de poser des questions aussi fondamentales que complexes, sans pour autant faire de ces êtres potentiellement monstrueux des victimes, ou dédouaner ce père déviant de ses propres torts en justifiant l'existence de ses démons.


Et le film d'amener son lot de questions. Qu'est-ce qui relève du fantasme collectif, de la rumeur, ou à contrario du fait certain et établi ? A partir de quel moment bascule-t-on d'une saine paranoïa, nécessaire à la protection de ses enfants, à l'hystérie collective la plus totale, au phénomène de groupe, au lynchage ? Et qui pourrait-on blamer, après tout, de vouloir protéger les êtres qui nous sont chers, même dans l'excès ? Un pédophile (avéré) est-il un être malade dont les déviances doivent être traitées psychiatriquement, ou un monstre abominable que l'on doit enfermer et mettre au banc de la société pour toujours ? La pédophilie est-elle contagieuse, atroce à un point tel que notre société doit immédiatement condamner, parfois au risque de provoquer l'injustice, quitte à briser des vies sur la foi d'un mensonge ? Doit-on reprocher à ces parents d'avoir fait le jeu d'un dossier à charge, dans l'unique but, finalement, de protéger leurs enfants d'une réalité trop abominable pour être articulée ? Dans quelle mesure, enfin, les enfants ne sont ils pas doublement les victimes des fantasmes des adultes, fussent-ils sexuels ou psychologiques, à la fois de la part de maniaques sexuels potentiels ou d'enquêteurs zélés qui croient bien faire leur travail ?


Autant de questions difficiles posées par cet admirable documentaire, dur, parfois même insoutenable dans la banalité de l'horreur. Une oeuvre forte qui opère dans toutes les nuances qui composent les êtres, contradictoires, ambigus, parfois honteux et déviants, que nous sommes tous. Pire que tout, Capturing the Friedmans entre en résonnance avec les pleurs déchirants des victimes faussement accusées du procès d'Outreau, encore tout proche de nous. Glaçant.

Prodigy
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le 16 mai 2010

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Prodigy

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