Careful est un film délicieusement atypique qui, de par son sujet pour le moins incongru et sa réalisation parfaitement maîtrisée, ne nous laisse pas indifférent...
Tout commence sur les flancs d'une montagne abrupte appelée le mont Mitterwald. Là, perché dans les sommets se trouve un petit village prospère du nom de Tolzba. Les habitants de ce village, pour le moins reculé, n'ont qu'une seule peur qui pourrait mettre à mal leur douce quiétude : l'écho. Ce redoutable écho qui du fait d'un simple bruit pourrait provoquer une avalanche qui leur serait fatale. "Attention, soyez prudent", nous préviens le vieillard "un seul faux mouvement peut déclencher ces glissements fatals et tout balayer dans l'oubli" ! Ainsi, dans leur phobie maladive d'éviter ce potentiel désastre, les enfants vont être bâillonnés, les cordes vocales des animaux domestiques coupées, les cordes des instruments de musique enlevées, absolument tout sera fait pour que nul bruit imprévus ne s'échappent dans le vent cinglant et glacé des hauteurs. Pourtant, malgré toutes leurs précautions, chaque année, ils attendent avec la même stupeur l'imprévisible vol des oies sauvages qui pourrait empêcher la "neige d'étreindre la montagne"...
En réalité, bien que présenté comme l'un des principaux enjeux de l'oeuvre, cette peur du bruit ponctuée par le désopilant monologue de départ, n'est en réalité qu'une façade. En effet, elle ne sert qu'à mieux planter le décor de ce qui va devenir progressivement un drame familial. Cependant, avant de développer plus en profondeur sur l'histoire même du film, je voudrais d'abord glisser un mot sur la réalisation pour le moins atypique de l'oeuvre. En effet, le film est une palette de couleur à lui seul ! Sommaire bien entendu, mais bien réelle oscillant entre diversité et uniformité. Par moment, la réalisation sera "typique" avec une légère accentuation des couleurs par endroit, mais à d'autres moment, il n'y aura qu'une couleur prédominante (je suppose d'ailleurs que les couleurs désignent des émotions prédominantes elles-aussi, mais je ne me suis pas vraiment penchée sur la question). A vrai dire, la seule comparaison que je pourrais faire pour vous donner un ordre d'idée ce serai avec "Le cabinet du docteur Caligari", même si elle est beaucoup moins notable et percutante.
Passé ce premier choc des couleurs, l'on découvre peu à peu le fin fond de l'histoire. Il s'agit des mésaventures (pas très commune je vous l'avoue) d'une mère et de ses trois fils. La mère, veuve, élève dans le plus doux des foyers ses trois enfants Grigorss et Johann tout deux élèves dans une école de service hôtelier et Frank, le premier né, condamné à demeurer au grenier, privé de tout amour maternel. Le film se décompose en deux parties correspondant aux deux fils chéris, mais au sein de ces deux parties, nous assisterons impuissant à la longue descente aux enfers des personnages principaux et de leur entourage. Personne ne sera épargné et chaque minute passée est un plongeon un peu plus profond dans la noirceur de l'âme humaine. Guy Maddin nous livre ici, sur ce fond d'angoissant silence alpin, le portrait sans concession du genre humain.