Carla et moi
6.5
Carla et moi

Film de Nathan Silver (2024)

L’engouement autour de Carla et moi et de Nathan Silver, réalisateur jusqu’alors confidentiel et s’étant très peu exporté jusqu’à la France, témoigne de ces attentes assez paradoxales du public cinéphile. Lassé des produits formatés et des tendances esthétiques lénifiantes d’une époque, et prêt à chérir un produit qui semble surtout pasticher le charme d’antan.

Il ne s’agit pas de minimiser la qualité du film, qui semble tout droit sorti des années 70 pour nous plonger dans la communauté juive new-yorkaise dans une esthétique à gros grain, caméra à l’épaule, pour nous livrer la quintessence du cinéma américain indépendant. On sera ravi de voir Jason Schwartzman sortir de sa réserve habituelle (sa carrière se limitant ses dernières années à des apparitions chez Wes Anderson ou des voix dans l’animation) pour un rôle enfin à sa mesure d’un homme en pleine crise de voix, de foi et de voie.


L’environnement délicieusement toxique dans lequel il évolue mêle Woody Allen et Philip Roth, et brasse tous les clichés propres au judaïsme, avec cette malice toujours vivace de l’autodérision sur l’excès de certains codes ou la capacité à faire des blagues scatos lors d’un bingo en hommage à l’Holocauste.


Cet humour en forme de politesse du désespoir a de quoi séduire, surtout lorsqu’elle se distribue au fil d’une galerie de personnages fantasques et bien trempés, dans un rythme soutenu et un sens de l’écriture qui ne met à l’abri d’aucune sortie de route.

La relation qui se construit entre l’homme brisé et la cure de jouvence souhaitée par son ancienne prof de musique bien déterminée à reprendre les choses où elle les avait laissées à 13 ans ajoute à cette poésie branque, sur le modèle assez assumé d’Harold et Maud. L’arythmie relationnelle, qui semble laisser cour à une improvisation constante, épouse avec pertinence les maladresses et les élans d’une amitié singulière, avant de générer son lot de malaises lorsqu’elle s’affiche devant les familles respectives, dans des repas dont on dilatera volontiers la durée pour en savourer l’implosion.


Autant d’éléments savoureux et parfaitement incarnés, qui ne nécessitaient par obligatoirement tout l’habillage esthétique imposé par Silver. En saupoudrant ses séquences de montage cut, dissociations entre bande-son et image, gros plans grotesques, mouvements intempestifs d’appareil ou fermeture à l’iris, le cinéaste semble incapable de laisser s’épanouir ce qui se joue devant sa caméra. Comme si le metteur en scène devait forcément avoir sa part, en écho au comportement abusif et interventionniste des mères du protagoniste qu’il semblait pourtant fustiger.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films sur le judaïsme et Vu en 2024

Créée

le 26 oct. 2024

Critique lue 304 fois

6 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 304 fois

6

D'autres avis sur Carla et moi

Carla et moi
Morrinson
5

Braver les interdits

Nathan Silver s'essaie à un genre de comédie rétro dans un geste assez étrange : on se croirait plongé dans le cinéma indépendant new-yorkais des années 70 ou 80, dans le sous-registre de la comédie...

le 4 nov. 2024

1 j'aime

Carla et moi
Cinephile-doux
5

Bat-mitsvah

Cette histoire de bat-mitsvah (très) tardive, dans le milieu juif new-yorkais, est assez déconcertante et franchement inégale, capable d'offrir des scènes très audacieuses et iconoclastes mais aussi...

le 29 oct. 2024

1 j'aime

Carla et moi
JorikVesperhaven
3

Pas très orthodoxe.

Aïe aïe aïe ! Se farcir un film comme Carla et moi et l’apprécier est certes possible, mais il faut vraiment être un inconditionnel du cinéma indépendant américain dans tout ce qu’il a de plus...

le 23 oct. 2024

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

773 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53