L’engouement autour de Carla et moi et de Nathan Silver, réalisateur jusqu’alors confidentiel et s’étant très peu exporté jusqu’à la France, témoigne de ces attentes assez paradoxales du public cinéphile. Lassé des produits formatés et des tendances esthétiques lénifiantes d’une époque, et prêt à chérir un produit qui semble surtout pasticher le charme d’antan.
Il ne s’agit pas de minimiser la qualité du film, qui semble tout droit sorti des années 70 pour nous plonger dans la communauté juive new-yorkaise dans une esthétique à gros grain, caméra à l’épaule, pour nous livrer la quintessence du cinéma américain indépendant. On sera ravi de voir Jason Schwartzman sortir de sa réserve habituelle (sa carrière se limitant ses dernières années à des apparitions chez Wes Anderson ou des voix dans l’animation) pour un rôle enfin à sa mesure d’un homme en pleine crise de voix, de foi et de voie.
L’environnement délicieusement toxique dans lequel il évolue mêle Woody Allen et Philip Roth, et brasse tous les clichés propres au judaïsme, avec cette malice toujours vivace de l’autodérision sur l’excès de certains codes ou la capacité à faire des blagues scatos lors d’un bingo en hommage à l’Holocauste.
Cet humour en forme de politesse du désespoir a de quoi séduire, surtout lorsqu’elle se distribue au fil d’une galerie de personnages fantasques et bien trempés, dans un rythme soutenu et un sens de l’écriture qui ne met à l’abri d’aucune sortie de route.
La relation qui se construit entre l’homme brisé et la cure de jouvence souhaitée par son ancienne prof de musique bien déterminée à reprendre les choses où elle les avait laissées à 13 ans ajoute à cette poésie branque, sur le modèle assez assumé d’Harold et Maud. L’arythmie relationnelle, qui semble laisser cour à une improvisation constante, épouse avec pertinence les maladresses et les élans d’une amitié singulière, avant de générer son lot de malaises lorsqu’elle s’affiche devant les familles respectives, dans des repas dont on dilatera volontiers la durée pour en savourer l’implosion.
Autant d’éléments savoureux et parfaitement incarnés, qui ne nécessitaient par obligatoirement tout l’habillage esthétique imposé par Silver. En saupoudrant ses séquences de montage cut, dissociations entre bande-son et image, gros plans grotesques, mouvements intempestifs d’appareil ou fermeture à l’iris, le cinéaste semble incapable de laisser s’épanouir ce qui se joue devant sa caméra. Comme si le metteur en scène devait forcément avoir sa part, en écho au comportement abusif et interventionniste des mères du protagoniste qu’il semblait pourtant fustiger.
(6.5/10)