Est-ce par hasard que Polanski a choisi d'adapter la pièce de Yasmina Reza Le Dieu du carnage ? Certes non, et loin d'être anecdotique ce choix correspond une fois de plus aux obsessions d'un homme confronté à un huis-clos forcé lors de son incarcération en résidence surveillée.
Exorciser ses vieux démons tout en s'amusant, c'est sans doute ce qu'a voulu faire le cinéaste, nous transformant pour l'occasion en voyeurs réjouis et parfois hilares devant les affrontements hystériques de ces deux couples "bien sous tous rapports" qu'une simple bagarre de gamins va réunir pour mieux les séparer.
Penelope et Michael affichent les valeurs traditionnelles d'un couple de gauche assez peu assorti en apparence : lui, bon vivant sous ses allures d'ogre sympathique, elle sèche et nerveuse, férue d'art, femme engagée pour l'Afrique, qui dissimule mal la tension qui l'habite.
Nancy c'est la blonde parfaite tirée à quatre épingles qui travaille dans la finance tandis que son cher et tendre Alan est avocat pour un groupe pharmaceutique.
Une rencontre qui débute sous les meilleurs auspices: on se regarde, on se sourit par-dessus les tulipes qui décorent la table, chacun s'efforçant de respecter les codes de la bienséance et du savoir-vivre.
Mais dans cet appartement que ni Alan, rivé à son téléphone portable, ni Nancy dite "Toutou" ne se décident à quitter, le ton ne tarde pas à monter, les mots deviennent cris, chacun défendant à sa manière son rejeton.
Derrière le vaudeville affiché entre vomissures diverses et variées et whisky à gogo, les masques tombent, les langues se délient, réduisant les deux femmes à leur personnage de furies hystériques, tandis que leurs époux momentanément soudés par la fameuse solidarité masculine se dévoilent eux aussi dans leur vérité la plus totale : véritable jeu de massacre où Michael retournant sa veste , laisse enfin éclater sa haine raciale et son dégoût de la famille devant une Penelope éplorée et rageuse dont les poings s'abattent et pleuvent sur ce mari qu'elle subit.
De grands moments de comédie donc où quatre acteurs de choix poussent leur jeu à l'extrême, le plus retenu dans cette foire d'empoigne étant sans doute l'excellent Christoph Waltz, déjà remarqué dans Inglourious Basterds, et qui compose ici un personnage acide et drôle à la fois, représentatif ô combien de l'homme moderne dépendant et esclave des outils que lui offre la société, incapable de s'en passer et malheureux comme un enfant si on vient à l'en priver : à cet égard la scène où Kate Winslet excédée, jette le mobile dans l'eau des tulipes est absolument jubilatoire.
J'ai apprécié, beaucoup ri : une réalisation à laquelle je reprocherai simplement de trop s'apparenter à du théâtre filmé, mais qui une fois encore, dans un crescendo assumé, montre à quel point les codes du paraître entraînent une personnalité refoulée qui débouche sur une représentation sociale des plus caricaturales, et ça, Polanski sait très bien faire.