Carol est un de ces rares films dont j’ai tendance à penser qu’ils caressent l’idée de chef d’œuvre. Non pas que le dernier long-métrage de Todd Haynes soit un des meilleurs que j’aie jamais vu, mais dans le sens où il répond parfaitement aux codes de son genre, ici celui du drame romantique. Ainsi, rien n’est original mais tout fonctionne à la perfection.


La grande force de Carol ne réside pas dans le contenu de son scénario qui ressemble à des dizaines et des dizaines d’autres films d’amour. La jeune Therese, d’origine modeste, fait donc la rencontre fortuite d’une richissime quadragénaire au charme envoutant, Carol, et le spectateur suit alors pendant presque deux heures le développement de cette relation entre deux personnages types qu’a priori tout sépare, de l’âge à la classe sociale en passant par l’assurance, faisant également tendre le récit à être celui d’une initiation. Il est pourtant dommage que la mise en place de cette relation soit visiblement trop hâtée et perde de sa vraisemblance, sans quoi Carol aurait été un véritable sans faute.


L’autre pendant de ce classicisme que certains auront fait vite à qualifier d’académisme est celui de la forme. Le rythme est brillement maitrisé : il est lent sans que le film ne souffre toutefois d’aucune longueur et laisse le temps de poser les choses ce qui permet ainsi aux deux actrices, Cate Blanchett et Rooney Mara, de proposer une prestation remarquable. Or même si lenteur il y a, les péripéties s’enchainent assez régulièrement pour faire basculer le récit. Le film a donc son moment road-trip et son moment film d’espionnage sans jamais dénaturer la romance initiale (ceux-ci marquants les étapes de la relation que partagent Carol et Therese).


La plus grande réussite de ce film reste cependant sa maitrise de la tension qui monte en crescendo pour exploser lors de la scène finale. Cette montée est toutefois entrecoupée de moments de bathos, c’est-à-dire de rupture de la progression, durant tout le récit et dont le caractère systématique signe la singularité de Carol. En effet cette relation amoureuse est marquée par l’expression « un pas en avant, trois pas en arrière » qu’englobe à lui seul l’exemple de la scène du train. Cette tension est rendue possible tout d’abord par l’alchimie entre les deux actrices mais aussi par l’incroyable travail de composition de Carter Burwell. L’OST semble alors être le miroir du film : minimaliste, doux et puissant.


Romance saphique, il n’en est pas pour autant un film politique, et fort heureusement car c’est bien cette thématique de l’attraction irrépressible et universelle qui en fait un chef d’œuvre du drame romantique. Carol est un récit du magnétisme, de l’attirance qui détruira tous les obstacles sur son passage tout simplement parce que c’est inévitable. C’est de cette façon que je fais sens de l'insignifiance des personnages secondaires qui, tous à leur manière, tentent d’empêcher l’attirance réciproque entre Carol et Therese qui se montre par le jeu des regards. Cette pudeur et cette subtilité à la réalisation est tout simplement remarquable. Aucun mot ne sera jamais posé sur cette relation qui se dit plutôt à travers des gestes que des paroles. Il faut encore souligner le talent de Cate Blanchett et de Rooney Mara dont les performances respectives méritaient une récompense. De même, la caméra n’est jamais intrusive car elle se place souvent derrière une fenêtre. C’est notamment grâce à cette pudeur que la scène de sexe est incroyablement réussie là où tant d’autres films dont je ne veux même pas citer le nom se sont cassés la gueule.


Ainsi, Todd Haynes fait presque un sans faute avec Carol si on met de côté début un peu trébuchant. Et ce film est bien parti pour être en haut de mon top 2016.

Galokarp
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le 13 mars 2016

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