Two Lovers
Avec cette mise en scène, que ne renierait pas Wong Kar Wai version In the mood for Love, la discrétion des sentiments sied parfaitement à une nomenclature esthétique au souffle court, qui fait...
Par
le 13 janv. 2016
129 j'aime
26
Ce film signé Todd Haynes rejoint l’inspiration de Loin du paradis (2006) par bien des points. On sent que ce qui motive le réalisateur c’est la lutte contre les préjugés. Après la ségrégation, il s’intéresse à l’homosexualité féminine. Et, pour que son propos sonne comme il l’entend, il situe son histoire dans les années 50 aux Etats-Unis (l’action commence au moment des fêtes de fin d’année 1952). Bien entendu, si les mentalités ont évolué depuis une soixantaine d’années, on est encore loin du compte. Pour ce qui est des années 50, Todd Haynes en donne un aperçu qui prolonge la vision qu’il en donnait en 2006, sans en faire l’argument principal. Un léger grain donne à l’image un aspect réaliste renforcé par des couleurs très douces dans l’ensemble. D’ailleurs, tout le film dégage une vraie douceur. Très peu de moments vraiment tendus et un sens de la mise en scène qui privilégie les atmosphères feutrées. Même par exemple quand le chef de rayon d’un grand magasin appelle une de ses vendeuses au téléphone pour un appel visiblement personnel, alors qu’on devine que la pratique est vivement déconseillée.
C’est donc au rayon jouets que Carol (Cate Blanchett) fait la connaissance de Therese (Rooney Mara). Carol est une bourgeoise, petite quarantaine, très à l’aise dans son manteau en fourrure (et chevelure blonde onduleuse qui la met en valeur sans la moindre vulgarité), alors que Therese est une brune plus jeune un peu réservée mais très BCBG dans des vêtements de qualité mais pas trop chers, sa fantaisie allant vers des tissus du genre écossais. C’est Therese qui est fascinée. Une sorte de coup de foudre dont elle serait bien en peine de déterminer la nature exacte. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle ferait quasiment n’importe quoi pour revoir cette femme en quête d’un cadeau de Noël pour sa fille de 4 ans.
Carol est donc mariée et mère de famille, alors que Therese se cherche encore. La jeune femme repousse comme elle peut les ardeurs d’un ami, alors que Carol est sur le point de divorcer. Disons-le tout net, la situation de base n’est pas d’une folle originalité et, si diverses péripéties vont l’enrichir, ce qui fait la vraie saveur du film à mes yeux est davantage dans le ressenti, l’émotion que la finesse du scénario. La subtilité du jeu des actrices a été récompensée par le prix d’interprétation féminine attribué à Rooney Mara au festival de Cannes 2015.
Dans ce film, Todd Haynes nous fait toucher du doigt ce que peut être l’amour, sentiment auquel tout un chacun aspire (plaignons au passage les quelques exceptions). « Je t’aime » est la phrase que nous souhaitons aussi bien dire qu’entendre. Bien entendu, elle n’a pas le même prix aux yeux de tous, puisque le calcul et l’hypocrisie peuvent s’en mêler. Ajoutons que cette petite phrase a probablement une signification intime particulièrement subtile, avec d’infinies variations selon la personne qui la prononce.
Sur ce plan, le moment où Carol et Therese se retrouvent enfin en tête-à-tête en voiture est à mon sens une réussite exceptionnelle. Carol et Therese savourent enfin un moment qui n’appartient qu’à elles seules (et au spectateur fasciné). Seule compte la satisfaction de partager ce voyage. Il n’est pas question de séduction et pas vraiment de projection vers l’avenir. L’amour dans sa dimension physique ne sera qu’un accomplissement inéluctable que le réalisateur n’escamote pas mais qu’il a le bon goût de montrer avec sensibilité et pudeur.
Rooney Mara apporte au film une innocence qui n’est pas sans rappeler ce qui a fait le charme irrésistible d’Audrey Hepburn depuis ses débuts. Cate Blanchett apporte élégance, classe naturelle, assurance et maturité. Son personnage vit avec intensité cette relation qu’elle n’attendait plus vraiment.
La dernière partie du film voit les réalités de la vie rattraper les deux femmes, ce qui fait dire à Carol « Il n’y a pas de hasard » qu’on peut comprendre de bien des façons.
La scène finale est d’une grande intensité et Todd Haynes la coupe au bon moment, laissant au spectateur tout loisir pour décider si la suite est positive ou négative. A noter qu’avant la fin, une scène dans un bar est remontrée sous un autre angle qu’au début. Une scène révélatrice, avec deux mains (l’une masculine, l’autre féminine) se posant fugitivement sur une épaule de Therese. Un geste presque anodin qui peut être interprété de deux manières différentes suivant son auteur : désir de possession ou de protection.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes C'est leur fête !, Vus au ciné en 2016 et Domino-ciné n°5 (fin)
Créée
le 17 janv. 2016
Critique lue 1.8K fois
46 j'aime
4 commentaires
D'autres avis sur Carol
Avec cette mise en scène, que ne renierait pas Wong Kar Wai version In the mood for Love, la discrétion des sentiments sied parfaitement à une nomenclature esthétique au souffle court, qui fait...
Par
le 13 janv. 2016
129 j'aime
26
Un lent mouvement de caméra le long des façades, de celles où se logent ceux qui observent et qui jugent, accompagnait le départ de Carol White qui s’éloignait Loin du Paradis. C’est un mouvement...
le 31 janv. 2016
124 j'aime
7
Il y a 20 ans Todd Haynes choisissait comme ligne de conduite avec Safe puis Far From Heaven de filmer la femme au foyer américaine, de sa capacité à exister dans un milieu ne favorisant pas...
le 12 janv. 2016
52 j'aime
12
Du même critique
Phil Connors (Bill Murray) est présentateur météo à la télévision de Pittsburgh. Se prenant pour une vedette, il rechigne à couvrir encore une fois le jour de la marmotte à Punxsutawney, charmante...
Par
le 26 juin 2013
113 j'aime
31
L’introduction (pendant le générique) est très annonciatrice du film, avec ce petit du coucou, éclos dans le nid d’une autre espèce et qui finit par en expulser les petits des légitimes...
Par
le 6 nov. 2019
79 j'aime
6
L’avant-première en présence de Bertrand Tavernier fut un régal. Le débat a mis en évidence sa connaissance encyclopédique du cinéma (son Anthologie du cinéma américain est une référence). Une...
Par
le 5 nov. 2013
78 j'aime
20