Le film, quoiqu'assez différent, n'est pas sans quelques points communs avec le superbe Méditerranées dans lequel Olivier Py revient sur le parcours de ses parents, après la découverte de films super 8, et que je vous conseille au passage.
Le film d'Eric Caravaca prend pour sa part la forme d'une enquête, d'un retour sur la vie de ses parents avant sa propre naissance, lié à la nécessité de comprendre ce qui s'avérera être un terrible tabou, voire un déni, qui pesait sur lui sans même qu'il soit au courant de quoi que ce soit.
On ne peut qu'être touché par l'histoire familiale qui nous est présentée. D'entrée de jeu, la caméra nous fait pénétrer dans ce qui fut la maison familiale, on franchit la grille de la fenêtre, et l'on pénètre dans le noir. La lumière viendra, peu à peu, éclaircir le mystère. Car l'affaire est urgente au moment de la quête et de l'enquête de l'auteur : son père est malade, il ne lui reste que peu de temps à vivre, et Eric Caravaca a besoin de lui pour comprendre. Sa mère est là aussi, et Eric l'interrogera à plusieurs reprises pour tenter de comprendre, entre autres, pourquoi elle a complètement enterré cette partie funeste de son passé, de leur passé.
Alors oui, les grincheux trouveront que les images des catacombes des Capucins à Palerme ou les images de propagande nazies prônant l'euthanasie n'étaient peut-être pas indispensables, que certains plans sont trop léchés, qu'il y a parfois un côté artificiel (Caravaca filme son père mort ou sa mère à la fin avec une caméra type super 8 pour que ça colle avec les premières images), que le film flatte un peu trop notre côté voyeuriste. Mais ce ne sont que des maladresses mineures : il s'agit là d'abord d'un projet personnel. Par exemple, le plan sur la petite fille momifiée aux blonds cheveux bouclés de Palerme nous paraîtra excessivement lourd, alors que c'est une image décisive pour l'auteur qui depuis le début est en quête d'images, là ou sa mère a tout détruit. Le film, même s'il s'adresse à nous, est d'abord le compte-rendu d'une démarche personnelle et d'une enquête, il s'agit d'une catharsis pour Caravaca, et il était important pour lui de dire, et cette fois-ci à tout le monde, ce qui avait été tu depuis très longtemps, avant même sa propre naissance. De le dire et de le montrer.
Ce ne sont donc que des détails mineurs pour moi, le film est juste très beau, par ses images, que ce soit les images d'archives, souvent touchantes, celles de la famille ou celles retraçant l'époque, ou celles tournées récemment par Caravaca, par exemple dans un cimetière suisse. Le récit est bien construit, les mots posés sonnent juste, le montage et l'assemblage d'images disparates est étonnamment réussi.
Le propos ne concerne pas que l'histoire, forcément singulière, d'une famille. Le film fait aussi un parallèle, plutôt convaincant, avec les difficultés que la société française a à assumer les passages peu glorieux de son passé. Car cette histoire se passe en pleine décolonisation : il s'agit du parcours d'une famille d'Espagnols émigrés au Maroc, qui passe en Algérie avant de devoir s'installer en France. Le déni de la famille est aussi celui de la France concernant son passé, dont le rôle en Afrique du Nord ne fut pas aussi positif que ce que certains voudraient mettre en avant. Le montage entre des propos d'actualités filmées de l'époque vantant les bienfaits de la présence française en Afrique du Nord et des images de la réalité de cette présence et notamment la répression, sont assez réussies.
Bref, on a là un très beau film, le récit d'une démarche individuelle, d'une tentative d'Eric Caravaca de libérer sa famille et particulièrement sa mère qu'une culpabilité douloureuse. Bravo à lui pour cette démarche qui fut sans doute douloureuse mais assurément salutaire.