Fassbender, Cruz, Diaz, Bardem et Pitt dans un thriller de Ridley Scott, on peut facilement avoir des a priori sur le bestiau. Un grand blockbuster qui pète dans tous les sens en envoyant un jeune illusionniste défier à lui seul les narcotrafiquants à la frontière mexicaine pour ensuite s’envoler à Ibiza avec sa promise tremblante et fiévreuse de son amour pour ce héros.


Quelque chose de salement banal et vide qui sera oublié dans les mois qui suivent comme un corps de femme sans tête dans un océan d’ordures.


Oui, mais non. De manière complètement inattendue, Cartel plane au dessus des conformités, des règles du cinéma actuel, et les regarde nager dans la boue en allant se draper dans autre chose. Quelque chose d’unique, de pas forcément définissable, mais qui devrait habiter chaque film. Une âme propre, des partis pris, une atmosphère tangible.


Pourquoi ici ? On peut penser à Cormac McCarthy, écrivain plutôt que scénariste qui apporte au script quelque chose de différent, de plus sophistiqué, de moins réglé. Sans doute que le suicide de son frère en plein tournage a aussi dû chatouiller l’ami Ridley. Lui balancer en pleine tête une bonne dose de réalité froide et mordante, comme celle qui embaume toute l’œuvre. Impossible de savoir exactement ce que tout ça a changé, mais ce n’est pas si important.


L’important est sur la pellicule. Une caméra presque posée là par hasard, comme on aurait pu la poser plus tard, ou plus loin. Une Terre qui tourne, qui tournait et qui tournera encore. Et cette façade, cette image lisse, très nette, fluide, qui nous montre un monde complètement opposé, dur, cynique, violent et sans pitié.


Ici personne ne prend le spectateur par la main pour lui expliquer où est le bien, où est le mal. Personne ne prend la peine de pleurer pour ce bon vieux Fassbender quand la réalité le rattrape. Rien. Comme si le mot Implacable se gravait sur l’écran en lettres de plus en plus rouges au fil du récit. Le monde est ce qu’il est, si tu veux suivre tu suis, si tu ne veux pas suivre tu ne suis pas. Le constat vaut autant pour ceux qui regardent le film que pour ceux qui y vivent.


Il n’y a pas de héros. Juste des hommes et des femmes qui font leurs choix et doivent en assumer les conséquences. Pour ce qui est de leurs interprètes, pas la peine de vous faire de soucis. On comprend pourquoi ce sont leurs noms en lettres blanches qui ornent l’affiche. Du très lourd uniquement au service du film. Personne ne gagnera d’oscar pour Cartel, ce n’est pas le but. Que ce soit Fassbender, qui est constamment à l’écran, ou Brad Pitt que l’on ne voit pas plus d’un quart d’heure, en passant par Pénélope Cruz qui a pourtant un rôle bien ingrat, c’est juste, c’est efficace et ça n’essaye pas de se branler artistiquement pour rien. Le tout n’empêche pas les rôles marquants, mais chaque phrase, chaque signe de tête, chaque silence sert le personnage et pas l’acteur.


En résulte une vraie merveille de cinéma à l’atmosphère unique qui ne rentre pas dans les codes habituels tout en restant d’une simplicité et d’une efficacité redoutable. On ne l’attend pas, on ne le voit pas venir, et pourtant on le prend en pleine tronche et on finit couché au sol.


Comme la balle d’un narcotrafiquant colombien en fin de compte.

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le 27 nov. 2015

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Caïn

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