Les soucis de conception de Casse-Noisette et les Quatre Royaumes peuvent être résumés rien qu'à travers son titre. Le conte de Hoffman et le ballet de Tchaïkovski ne sont que de vagues inspirations pour cette histoire très largement réinventée qui aimerait lancer un univers fantaisiste neuf dans la veine du Monde de Narnia mais qui ne se donne jamais la peine de nous le faire découvrir et qui le néglige même totalement.
Profitez bien des deux-trois visuels que les bandes-annonces vous ont montré des Terres des Flocons de Neiges, des Bonbons et des Fleurs car vous n'aurez rien de plus, tout juste sont-elles ensuite des arrières-plans flous, là aussi en (très) petit nombre. Le film ne se focalise que sur deux environnements, le palais servant de décor central et le Quatrième Royaume envahi par les ronces et la brume. Où est le peuple? Où est la vie? Où sont donc ces mondes richissimes qu'on nous a promis et que vous louperez si vous avez la malheur de cligner des yeux?
Nous n'en profiterons pas car Casse-Noisette et les Quatre Royaumes est pressé de vite se terminer, comme s'il avait honte d'exister, conscient de son schéma narratif éculé. On se demande comment Joe Johnston a pu passer tout un mois à s'occuper des reshoots car clairement, cette final cut en a grand besoin. D'une durée ridicule d'une heure et demi, le film se dépêche de donner des instructions à ses personnages avant même que l'on sache qui ils sont. L'héroïne n'est briefée de la situation qu'après avoir rencontré durant un quart d'heure tous les rôles-clés du scénario et ce pour immédiatement repartir chercher le MacGuffin.
Deux exemples démontrent ce problème.
Le premier, l'instant où Clara suit le fil qui va la mener vers un monde parallèle. Un moment censé être mystérieux, étrange, magique, qui doit en toute logique marquer une rupture rythmique et artistique. Sauf que le Londres dépeint arbore exactement les mêmes couleurs et la même esthétique que pour les Quatre Royaumes et que la scène en question ne s'étale que sur une minute, avec aucune variation dans la durée des plans ou l'intensité de la musique. Ce n'est pas filmé et découpé comme une prise importante mais comme une prise supplémentaire.
Le second, la séquence du ballet qui est, certes, très jolie à regarder mais qui, dans le fond, ne raconte absolument rien. Son but devrait être d'éclairer le spectateur sur la naissance de ces espaces et de ses habitants mais pourtant, aucune de nos questions ne trouve de réponse.
Il ne vaut mieux pas en chercher car Casse-Noisette et les Quatre Royaumes croule sous les incohérences et les erreurs d'écriture. Il suffit d'analyser son twist (que n'importe qui, au-delà de 10 ans, verra venir) pour s'apercevoir des grosses failles du script. Tout est d'un simplisme frustrant alors que plusieurs scènes laissent espérer des thèmes intéressants (la machine de la Fée Dragée permettant littéralement de "changer de point de vue", l'opposition entre les automates sans âme et les figurines vivantes). Le constat est identique pour le casse-noisette du titre. Il a beau accompagner l'adolescente dans son voyage, il n'a pas d'utilité dans l'intrigue ou de valeur symbolique pour celle qu'il doit protéger. Les morales du deuil et de la compassion ne suffisent pas à expliquer le pourquoi de cette aventure (avec un combat final rappelant les batailles atrocement molles de Tim Burton) tant le métrage suit une formule conventionnelle qui ne creuse rien en profondeur.
Ressenti qui s'applique au casting. Sans la candeur de Mackenzie Foy, le personnage de Clara n'aurait pas grand chose pour lui, souffrant de cette incapacité de Disney, hors animation, à écrire des figures féminines fortes qui n'aient pas l'air de robots. Des stars comme Helen Mirren et Morgan Freeman savent avoir suffisamment de présence pour que l'on reste attentifs mais leurs rôles sont si limités qu'on finit presque par les oublier. D'autres sont là pour faire coucou (Jack Whitehall, Matthew Macfadyen) et le débutant Jayden Fowora-Knight est handicapé pour les raisons citées précédemment. Paradoxalement, c'est la prestation de Keira Knightley qui marque le plus les esprits. L'actrice est tellement perdue entre ses imitations de Helena Bonham Carter, Anne Hathaway et Elizabeth Banks que la voir saboter l'image digne qu'elle s'est construite ces 10 dernières années est vraiment divertissant.
Difficile de savoir à qui revient la faute de ce sentiment de précipitation. Les personnes impliquées dans cette production familiale avaient un minimum de compétence et n'ont bizarrement offert leurs ressources qu'au service de cette histoire ultra-convenue. Casse-Noisette et les Quatre Royaumes confirme juste l'épuisement de la recette autrefois gagnante qui fît le succès des adaptations de Narnia, du Magicien d'Oz et d'Alice au Pays des Merveilles. Si l'imagerie est parfois agréable et la bande-originale très belle, ce conte de Noël s'oublie instantanément, ce qui est triste au vu des œuvres cultes auxquelles il est rattaché.