Cause toujours ! par Khaali
Chez Jeanne Labrune, on habite des appartements colorés, on s'habille avec des chemises oranges ou des petits ensembles verts pomme, selon le sexe, on boit du thé Mariage Frères dans des théières cubiques Tang Frères, on descend faire ses courses au Franprix du quartier : c'est du cinéma de proximité, quand votre code postal commence par 75.
C'est donc tout naturellement que j'ai proposé à un vrai titi parisien de ma connaissance s'il voulait m'accompagner pour voir 'Cause toujours'. Un gars gentil, avec plutôt bon goût, encore que parfois un peu bon public. Et pourtant il me répond que non, sans façon, parce qu'il exècre les films de Jeanne Labrune. Je lui réponds que justement, c'est pas un film, c'est une fantasy. C'est sympa les fantasy, il y a des elfes qui vivent dans des champignons, des magiciens et des trolls, et puis en plus dans cette fantasy-la il y a Daroussin. Et là il prétend que non, que Jeanne Labrune elle ne fait pas des fantasy avec des elfes, mais des fantaisies avec des gens qui discutent pendant deux heures dans un café de la conservation des meubles dans des caves, avec ou sans plastique, faut pas qu'ils s'abîment, et que lui il trouve ça superficiel et sans intérêt (sans doute qu'il n'a jamais eu à entreposer des meubles dans une cave, c'est vrai qu'il mène une vie très bohème). Et donc cet ami (appelons-le Jean-Alain pour conserver son anonymat) se braque et refuse la discussion (je le reconnais bien là). Comme quoi, le cinéma de proximité ça ne marche pas avec tout le monde.
Pourquoi tant de haine ? Il faut reconnaître que Jeanne Labrune est une réalisatrice qui possède son propre style, ce qui est une qualité, au milieu des réalisateurs procéduriers qui tiennent plus de la photocopieuse que de la machine à écrire. Et pour se démarquer un peu plus, elle ne fait pas des films mais des 'fantaisies'. On peut essayer d'imaginer la tête du producteur, la première fois où Jeanne est entrée dans son bureau pour lui dire qu'elle voulait réaliser une 'fantaisie'. Surprise (Pardon ?). Incompréhension (Mais.. Pourquoi ?). Rejet (Je n'ai pas les moyens de financer un film avec des elfes qui vivent dans des champignons !) Résignation (Comme tu voudras, Jeanne...) On l'imagine sortir ensuite du bureau, un petit sourire au lèvres, dans son petit tailleur monoprix et ses escarpins roses.
Tout ça pour quoi ? Pour un petit film sympathique, avec de bons acteurs et pas mal d'humour. Comme dans ses films précédents. Sauf que cette fois, Jeanne fait moins superficiel que d'habitude. On assiste donc une attaque contre la paranoïa urbaine, la méfiance envers l'autre, qu'il soit un inconnu croisé dans un café ou un vieil ami qui pourrait cacher des choses... D'où quelques scènes étonnantes de maisons mystérieuses perdues dans des bois profonds, fermées par des rideaux de velours rouges et habitées par des gens énigmatiques : Jeanne Labrune émule de David Lynch !!
Malgré tout, sans doute pour conforter Jean-Alain, notre réalisatrice nous a gratifiés de quelques discussions remarquables de superficialité. Par exemple, le coup sur les draps dans les maisons de campagne qu'on ne chauffe pas en hiver. Ils sont humides. Alors on peut en amener des secs depuis Paris, mais ça ne résout rien car les matelas aussi sont humides et si on met des draps secs dessus, ils ne le restent pas longtemps (secs) et donc on est bien embêté. Bien sûr, on peut allumer la cheminée mais ça pue alors finalement, on est bien mieux à Paris.
Mais si l'on se laisse amuser par ces discussions plus cocasses que vaines, et par les dialogues souvent trop écrits, on passe un bon moment.