Cent jours après l'enfance est un poème cinématographique sur l'enfance et la première fièvre amoureuse, conforté par un travail esthétique au parti pris radical conférant au cadre, la nature majestueuse et puissante, un charme certain. Rares sont les films qui parviennent à filmer leur sujet parfaitement à la bonne hauteur, et à ce niveau-là, il me semble que le film de Sergey Solovyov atteint une forme de perfection, plongé au milieu d'une colo de gamins de 14 ans dans la campagne russe.
Il y a une forme de paradoxe tout à fait savoureux entre le cadre apaisé du récit, flirtant avec l'onirisme, ce lieu mal identifié en pleine nature (une nature souveraine, qui semble avoir pris possession des lieux) d'où émane une certaine tranquillité, et les enjeux relativement graves dont il est question. "Grave", donc, à hauteur d'enfant : les tourments affectifs du protagoniste prennent une dimension incroyable, et nous projettent dans cette ambiance-là, trois mois au cœur d'un été adolescent qu'on a, sous certains aspects au moins, tous déjà vécu.
Autre point fort : la façon de filmer les filles. Un regard d'une incroyable pureté sur ces enfants, illuminés par quelques rayons de soleil, éclaboussés par quelques gouttes d'eau, à l'ombre d'une végétation protectrice. Cette image éthérée de la féminité, à la lisière de l'enfance et de l'adolescence, est vraiment étonnante. Ni vulgaire, ni charnelle, juste une touche de sensualité et de mystère adéquate. Une narration étrange, qui en déroutera plus d'un, qui ne s'interdit pas quelques références à la Renaissance et qui s'appuie sur un sous-texte littéraire à la fois solide et évasif : j'imagine que beaucoup d'allusions et d'inspirations m'ont échappé. Une sensation générale qui est tout autant étrange, avec cette impression tenace de temps suspendu (celui de l'été et du premier Amour) très habilement retranscrite. Une sorte de récit d'apprentissage aussi, en passant à travers tous les stades de l'amour, plus ou moins heureux, avec ses douces chimères et ses froides désillusions. Une démarche initiée par un coup de foudre / coup de soleil (titre d'un des chapitres du film) pour la jeune Lena que le protagoniste connaît mais voit pour la première fois comme une fille suscitant intérêt et émotion.
Cent jours après l'enfance évolue à travers toutes ces phases, questionnement, incompréhension, tentatives, jeux de regard, confrontations, pour finir par une déclaration d'amour à travers l'interprétation d'une pièce de théâtre qui lui donne la force et le courage de passer à l'acte. Sans succès. Le film se termine sur une note amère, pleine de résignation. C'est l'adolescence abordée du point de vue de l'enfance (par opposition avec l'autre bout de l'adolescence, c'est-à-dire l'âge adulte), pleine d'insouciance et de mélancolie.
Le texte en images : http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Cent-jours-apres-l-enfance-de-Sergey-Solovyov-1974
[Ancien avis brut #16]