Robert Rossen fut un excellent scénariste, mais un cinéaste relativement méconnu, à qui l'on doit pourtant quelques très bons films comme un Alexandre le Grand académique, les Fous du roi, une charge cynique sur les hommes politiques, et surtout l'Arnaqueur qui offrit à Paul Newman un de ses plus grands rôles. Ceux de Cordura doit selon moi, s'ajouter à cette liste, malgré un accueil qui fut glacial et un échec commercial cuisant que je trouve injuste.
Je veux tout d'abord préciser un truc : j'ai souvent lu à droite à gauche que ce film était un western, or ce n'est pas un western, même si le décor le laisse penser, mais la conquête de l'Ouest et les guerres indiennes sont finies depuis bien longtemps, l'action se situe en 1916, la toile de fond est celle qui évoque les combats que l'armée américaine livra à cette époque aux troupes dissipées de Pancho Villa, les uniformes ne sont d'ailleurs plus ceux des Yankees de la cavalerie qu'on voyait dans les westerns classiques. Il s'agit avant tout d'une aventure humaine, d'un drame ou d'un film d'aventure, au choix, avec plus de psychologie que d'action.
La seule scène d'action flagrante est celle de la charge de cavalerie au début qui tourne au carnage mais qui voit une victoire US sur les Mexicains. Ensuite, le réalisateur se livre à une véritable étude de caractères, en brossant une galerie de portraits de 5 soldats sélectionnés par un officier pour recevoir la médaille d'honneur du Congrès, plus grosse récompense militaire américaine. Mais au cours de la randonnée de l'officier et des 5 soldats, accompagnés d'une femme qui a aidé les rebelles mexicains, les masques vont tomber, les "héros" vont alors se révéler sous leur vrai visage, bafouant les règles militaires, ne pensant qu'à violer la femme et à se rebeller... et l'officier commence à se demander s'il n'a pas emmené avec lui des canailles plutôt que des héros.
L'officier est incarné par un Gary Cooper malade, usé et rongé par la maladie qui devait l'emporter 2 ans plus tard (il ne devait plus tourner que 2 films avant de mourir d'un ulcère en 1961), mais malgré ce handicap, il livre une interprétation exemplaire, tout en changeant radicalement son image car il est ici accusé de lâcheté, alors qu'à sa grande époque, il n'incarnait que des héros purs et sans tâche. A ses côtés, Rita Hayworth, les traits tirés mais encore belle, livre une des meilleures performances de sa carrière, elle s'affirme non plus comme un symbole sexuel mais comme une véritable actrice. Le reste du casting est très bon dans des rôles plus conventionnels, tel Van Heflin en sergent bravache et provocateur, Richard Conte en caporal détestable, Tab Hunter en lieutenant vindicatif, ou Dick York en soldat peu disert (acteur qui se fera mieux connaitre dans la série Ma sorcière bien-aimée). Chaque personnage va donc se révéler au cours d'une progression dramatique maîtrisée avec assez de finesse.
A travers de magnifiques paysages magnifiés par une photo splendide, ce film est une réflexion intéressante sur le courage et la lâcheté, jusqu'à un final édifiant, où l'officier incarné par Gary Cooper réussit à se racheter en retrouvant dignité, loyauté et un sens aigu du devoir.