Chantage est souvent présenté comme le premier film parlant de l'histoire du cinéma britannique (on peut carrément lire sur l'affiche anglaise "Britain's all-talkie challenge to the world"), mais il serait en réalité plus juste de parler du premier film mi-muet mi-parlant. Il semblerait en outre que cette intention ne soit pas à l'origine du projet puisque Hitchcock avait initialement tourné Blackmail avec la technique et les codes d'un film muet classique avant de retourner certaines séquences en version parlant, alors que la technologie était devenu accessible. L'effet produit par la première partie du film n'est donc pas tout à fait volontaire, il n'est pas intentionnel jusqu'au bout des ongles (même s'il reste très surprenant) : toute l'introduction obéit aux règles traditionnelles du cinéma muet, et tout d'un coup, alors que des personnages marchent dans la rue... ils se mettent à parler ! L'effet de surprise est encore là et fonctionne plutôt bien avec 90 ans de décalage.
On ne peut pas trop en vouloir à Hitchcock de ne pas avoir davantage travaillé, à l'époque, la relation entre le détective Webber et sa fiancée Alice. La séquence où elle se retrouve prise au piège dans l'atelier de l'artiste, par contre, est très ingénieuse pour la fin des années 20, que ce soit dans la façon de rendre compte du piège qui se referme doucement sur elle, de représenter indirectement l'abus sexuel en cours derrière un rideau, ou d'expliciter le meurtre par légitime défense à l'arme blanche (au passage, Psycho est déjà presque là). En revanche, quand on sait que l'idée d'Hitchcock était de montrer le conflit entre l'amour et le devoir, on est en droit de trouver le développement de cette thématique assez faible. Les personnages ne sont pas d'une densité psychologique folle (en prenant en compte le contexte du cinéma des années 20, seule la dissimulation d'une preuve et l'accusation d'un bouc-émissaire intervient dans la balance morale), même si certaines ambiguïtés sont les bienvenues dans les différents portraits.
Au-delà de l'aspect étonnant à mi-chemin entre cinémas muet et parlant, et au-delà des spécificités purement graphiques (beaucoup d'artifices visuels, des panneaux lumineux qui rappellent à la femme le meurtre au couteau, le tableau représentant un fou qui revient hanter la protagoniste en toute fin de film, etc.), Blackmail est intéressant car il met en lumière la différence fondamentale en termes de narration entre muet et parlant. Le rythme du film est à ce titre très étrange : beaucoup de scènes paraissent trop longues, tandis que d'autres semblent trop courtes. Certaines descriptions paraissent trop fournies, d'autres pas assez. On ne sait pas franchement sur quel pied danser, les codes du muet n'étant en grande partie pas partagés avec le parlant. Mais la sensation produite par ce mélange singulier n'est pas totalement désagréable pour autant, même si elle est à réserver aux fans hardcore de cinéma muet et de Hitchcock.
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