Charlie's Angels n'a jamais valu grand chose au cinéma; un divertissement primaire dont le seul intérêt, pour la majorité de son public, était de montrer de jolies dames se battre dans des tenues moulantes. Une sorte de rassemblement de James Bond à décolleté sans propos social derrière. Ce n'était donc pas la peine que la version de 2019 manifeste si souvent (implicitement et explicitement) son ascendant politique féministe.
D'autant qu'il le fait très mal : la première scène, prenant tellement la pose qu'elle en est grotesque, va dans le sens de la mouvance actuelle du cinéma de divertissement de bas étage. Ghostbusters, Men in Black : International, Terminator : Dark Fate en attestent : quand on n'est pas capable de faire quelque chose de potable, autant tout noyer dans une critique humoristique d'un système jugé comme "masculiniste"; le film ne pourra ni être attaqué pour son fond, devenu intouchable en raison de la cause noble qu'il défend, ni être taxé de grosse daube complètement stupide, ce genre de ressenti négatif attestant de notre manque de solidarité envers son origine politique.
Détester un film qui se veut progressiste, c'est être soi-même anti-progressiste : comme le laisse à penser l'affreux Black Christmas, si l'on n'apprécie pas (ne parlons même pas de détester) une oeuvre qui porte un message d'ouverture aux autres en réunissant tous les clichés possibles en terme d'ethnies et de genre (en taxant l'homme blanc hétérosexuel de méchant de l'histoire, par exemple), c'est qu'on est quelque part en désaccord avec le message politiquement opportuniste qu'il sert à son public.
A cela prêt que le concept même de Charlie's Angels le handicape dans sa démarche malhonnête : comment se prétendre d'un modèle érigé contre l'hyper-sexualisation de la femme et son pouvoir séducteur comme seule façon d'exister, lorsque l'origine de la franchise tient justement dans l'hypersexualisation de la femme et son pouvoir séducteur comme seule façon d'exister? L'idée d'en faire l'exact opposé de ce que cela devait être paraît saugrenue, presque irréaliste.
En résulte un film à moitié féministe : désireux de porter au monde l'image d'une femme forte et libérée de toute emprise masculine, il perpétue l'illusion d'être engagé politiquement contre l'idée de la femme-objet pour la réduire, finalement, à n'être qu'un ersatz de James Bond et Mission : Impossible un brin sexy, mais pas trop dénudée non plus. Faisant tout en demi-teinte, il limite autant que possible les décolletés en privilégiant les tenues moulantes, ne nous sert pas de ralentis douteux mais aime filmer le corps de ses actrices pour bien les mettre en valeur.
Dont une Kristen Stewart aux cheveux courts, par qui survient une relation amicale ambigüe entre les Anges de Charlie : un peu de romance crypto-gay n'a jamais fait de mal à personne, après tout. Réduire la figure de l'homme à sa plus ridicule expression, si : ridicules ou caricaturaux, ils vivent par et pour la violence, ne peuvent exister que pour tuer et trahir (à part s'ils plaisent à l'une des anges, là ils serviront d'homme-objet). A la femme sexualisée, l'homme brutal survient pour décrocher la place de la représentation la plus clichée.
C'est en ne sachant pas comment se positionner que Charlie's Angels finit par ne plus desservir aucun propos : parce qu'il faut qu'il plaise au plus grand nombre, donc autant aux femmes qu'aux hommes, il donne aux unes l'illusion de suivre la mouvance en vogue de leurs pensées, soit un féminisme réactionnaire visant la domination féminine dans ce qui était autrefois considéré comme un exercice d'homme, et aux autres un peu de poudre aux yeux en continuant ce qu'il avait juré de combattre durant les tristes dialogues de sa scène d'introduction, réduire ses héroïnes à la dépendance de leur statut de figures de désir.
En reproduisant les mêmes erreurs que les films hyper-sexualisant qu'elle dénonce, cette réadaptation de la série télévisée éponyme trahi son public en même temps que la cause à laquelle il dit appartenir : parce qu'il perpétue la vision d'une femme qui ne peut exister autrement au cinéma d'action qu'en tant qu'objet de désir et de convoitise, il se met également à dos son public masculin en le rabaissant par sa vision inférieure de l'homme, ce dernier n'existant plus que pour se battre, trahir et exprimer ses pulsions perverses.
Fallait bien se douter que faire du féminisme sur Charlie's Angels, c'est comme tenter le pacifisme avec John Wick : cela coûte cher, et ne rapporte rien.