Aller voir en 2017 une comédie dont le fil directeur est le retour d'un frère converti à un Islam intégriste est un pari. Est-ce que le sujet, grave et pesant, sera abordé de façon superficielle, ou bien le film posera-t-il, via le ton de l'humour, de bonnes questions?
Seulement, le retour du frère n'est que l'élément déclencheur d'un récit sophistiqué, au sens positif du terme. La trame va bien au-delà.
C'est même tout un programme philosophique: la rencontre du féminisme, du communisme, de l'intégrisme, de l'élitisme. Remplacer ces borborygmes par la mère, le père, le frère, le couple, et voilà la clé de réussite du film: les grandes idées laissent place à des personnes, des personnalités, du vivant. Camus, penseur on ne peut plus vivace, rappelle la logique mortifiante du culte des idé(ologi)es: "Mourir pour l'idée, c'est la seule façon d'être à la hauteur de l'idée". Dans ce film, cherchez l'idée, vous trouverez la vie, vous trouvez l'humain.
C'est même tout un jeu esthétique avec le voile intégral, jeu autant osé que maîtrisé : tantôt voile encombrant, impersonnel ; tantôt toile recueillant les désirs charnels.
J'aimerais citer les mots de la réalisatrice Sou Abadi, qui rappelle le tour de force et de beauté du film: célébrer "la spiritualité sans en faire un drapeau politique". Ce sont autant les vers que les versets, ce sont William Shakespeare, Victor Hugo et Mahmoud Darwich qui annoncent la victoire de l'humain et de l'amour sur l'obscurantisme et le rejet de l'autre.
Les voix des personnages sont un bel écho aux paroles de Jean Gaudé dans son roman "Ecoutez nos défaites" (2016): "Nous avons lu de la poésie depuis trop longtemps, nous avons admiré des mosaïques trop longtemps, il ne peut y avoir de renoncement". Ne pas renoncer à aimer, à lire, à vagabonder, et à rire, à rire, à rire!