[…] L'enjeu du conflit n'était pas en effet l'abolition de l'esclavage, qui était en marche de toute façon et que la guerre n'aura fait qu'accélérer, tout en l'imposant d'une manière qui allait favoriser le maintien d'une mentalité ségrégationniste revancharde dans un Sud humilié. Mais bien plutôt l'affrontement de deux visions du monde : celle du Sud aristocratique, défendant le droit de chaque peuple à vivre selon les règles qu'il s'est données, et un mode de vie où l'harmonie sociale ne passerait pas par un égalitarisme niveleur ; contre celle du Nord puritain, pour qui les valeurs démocratiques et égalitaires, ontologiquement bonnes, doivent de la même manière s'imposer à tous. D'une certaine façon, la guerre de Sécession continue l'œuvre du jacobinisme de la Révolution française et, en achevant la constitution des Etats-Unis tels que nous les connaissons aujourd'hui avec leur messianisme démocratique et protestant, met en place les prémices de la mondialisation.

Dictionnaire passionné du cinéma, Laurent Dandrieu, L'homme nouveau, 2013.

Difficile de faire un film sur la Guerre de Sécession. Jadis prévalait la thèse dite de la « Cause perdue » (Lost cause), faisant du Sud vaincu un Eden à jamais éteint par la faute d'une armée de Yankees assoiffés de sang, écartant le rôle pourtant primordial de l'esclavage dans la sécession. Aujourd'hui, c'est le contraire que nous voyons : on fait de la guerre civile américaine un conflit manichéen entre un Nord totalement abolitioniste et un Sud exclusivement esclavagiste, on abat des statues de généraux sudistes, on associe (non parfois sans raison) le drapeau confédéré à un emblème d'extrême-droite, etc. Ces deux tendances ont pu donner d'excellents films (Autant en emporte le vent d'une part, Lincoln d'autre part) qui ont toutefois l'inconvénient d'accentuer le manichéisme du conflit.

Le premier éloge que l'on peut faire de cette Chevauchée avec le diable (que j'appellerais désormais Chevauchée par commodité), c'est qu'elle ne sombre jamais dans le manichéisme. Bien au contraire. Rien que le lieu de l'action, le Missouri, en donne un très clair indice. On apprend dès le carton d'ouverture que cet état esclavagiste, mais nordiste (premier signe de complexité), fut divisé entre une administration favorable au Nord et une population largement gagnée au Sud. En ces lieux plus qu'ailleurs, cette guerre fut véritablement une guerre civile, une guerre livrée entre voisins, menée par ceux qui, la veille encore, dinaient ensemble, comme le montre la scène d'ouverture. Le lieu de l'action est donc un miroir des Etats-Unis, déchirés en deux camps par une guerre fratricide comme l'est, plus localement, le Missouri.

A l'encontre d'une vision très manichéenne de la guerre civile, Ang Lee (réalisateur du film, qui partage son nom avec le général en chef des troupes confédérées) prend soin de montrer que les torts sont partagés. Ainsi, le film commence presque par le pillage nocturne d'une maison de sympathisants sudistes et le massacre de ses habitants par les Jayhawkers, partisans du Nord, mais se poursuit en montrant les représailles des Bushwakers, guérilléros pro-sudistes.

Ce sont ces derniers que nous suivrons pendant le film, partageant les joies, les peines, les affrontements et les questionnements de ce petit groupe de combattants du vieux Sud. Parmi eux, Jake Roedel (Tobey Maguire), fils d'émigrés allemands, mais sudiste d'adoption ; et Daniel Hoult (Jeffrey Wright), ancien esclave affranchi, mais combattant pour la Confédération. Ces deux personnages témoignent de la volonté du réalisateur de rendre compte de la complexité de la guerre, où l'on se bat moins pour des idéologies que pour des motifs personnels, amicaux, sentimentaux ou fraternels. En l'occurrence, Jake et Daniel ont choisi leur camp, en dépit des origines allemandes du premier et afro-américaines du second (ainsi que des réflexes xénophobes et racistes de leurs frères d'armes), par loyauté envers le Sud qui les a accueillis et élevés, et plus particulièrement, à leurs amis, Jack Bull Chiles (Skeet Ulrich) pour Jake et George Clyde (Simon Baker) pour Daniel.

Gimme dat' ol' time Dixieland

Relisons les mots de Dandrieu. Pour lui, le film transmet l'idée que la guerre de Sécession ne fut pas tant un affrontement entre esclavagistes et abolitionistes que le choc de deux conceptions du monde et des Etats-Unis (ce qui revient au même pour nombre de Ricains). Ces mots demandent à être nuancés, notamment sur le rôle de l'esclavage – j'y reviendrais. Dandrieu n'en fait pas moins une remarque pénétrante sur le rôle prépondérant des présupposés de chaque camp, souveraineté de l'Etat individuel pour le Sud, hégémonie de l'Etat fédéral pour le Nord, qui renvoient à deux conceptions diamétralement opposées des Etats-Unis, reposant toutes deux sur une ambiguïté remontant à la guerre d'indépendance : les Etats-Unis sont-ils un groupe d'Etats alliés, mais autonomes, où une seule et unique nation ? Le Sud semblait avoir largement penché vers la première option, d'où la remarque du général Lee quelques années après sa capitulation : « Je suis né Virginien ; je mourrais Américain ». La guerre de Sécession, au delà d'une guerre sur l'esclavage, fut une guerre sur la nature des Etats-Unis, et s'est achevée par l'imposition par les vainqueurs de leur opinion sur la question, au prix de centaines de milliers de morts, de destructions sans nombre et de millions de vies brisées.

Un dialogue du film entre Jack et Mr. Evans (un notable du Missouri, partisan du Sud, père de Sue Lee et ayant perdu son fils à la guerre) est à mon avis symptomatique de cette vision des choses :

Mr. Evans (M. E) : « Avez-vous déjà été à Lawrence, au Kansas, jeune homme ? ».

Jack Bull Chiles (JBC) : « Non, je n'y compte pas, M. Evans. Je ne pense pas que je serais le bienvenu à Lawrence ».

M. E : « C'est bien ce que je pensais. Avant le début de la guerre, j'y allais souvent pour mes affaires. Quand j'ai vu les Nordistes bâtir cette ville, j'ai vu qu'ainsi, ils plantaient les germes de notre destruction. »

JBC : « La fondation de cette ville fut véritablement le commencement de l'invasion Yankee. »

M. E : « Je ne parle pas du nombre, ou même de l'abolitionisme fauteur de troubles. Je parle de l'école. Avant même de construire leur église, ils ont construit une école. Et ils y ont admis tous les fils de tailleurs… et toutes les filles de fermier du pays. »

JBC : « Epeler un mot n'aide pas à mieux tenir une charrue. Ou un pistolet. »

M. E : « En effet M. Chiles. Mais que que je veux dire, c'est qu'ils ont rassemblé tous les élèves dans cette école, parce qu'ils pensaient que tout le monde devait penser et parler de la même manière "libérée", sans se soucier du rang, des coutumes ou des propriétés. Et c'est pour cela qu'ils gagneront. Parce qu'ils croient que tout le monde devrait vivre et penser comme eux. Et nous perdront, parce que nous nous moquons bien de la manière dont ils vivent. Nous ne nous soucions que de nous-mêmes. »

JBC : « Voulez-vous dire, Monsieur, que nous combattons pour rien ? »

M. E : « Loin de là, M. Chiles. Vous combattez pour tout ce que nous avons toujours eu, comme l'avait fait mon fils. C'est juste que… tout cela, nous ne l'avons plus ».

Ici se trouve à mon avis l'une des clefs de la dimension politique du film. Pour Ang Lee, le Sudiste moyen ne se bat pas tant pour défendre l'esclavage que pour défendre son mode de vie, au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Au contraire, les Nordistes se battent pour imposer un mode de vie qu'ils considèrent comme bon et devant, par le fait même, s'imposer à tous de la même manière.

C'est en cela que la rhétorique du « droit des Etats », utilisée par les défenseurs de la confédération devient pertinente. Même si elle n'a jamais été invoquée comme telle par le gouvernement sudiste indépendamment de l'esclavage, elle n'en demeure pas moins un motif implicite, voire inconscient, de la guerre menée par les Sudistes, comme celle de l'unité de la nation autour d'un seul gouvernement fédéral fut celui des Nordistes.
Par ailleurs, la société sudiste est filmée avec un très grand respect, particulièrement dans la dernière partie du film, où l'on suit la vie d'une famille pro-sudiste, campagnarde et paisible, dont les membres, sans être riches, vivent avec aisance et simplicité. Toute cette partie du film est remplie d'une certaine nostalgie qui provoque chez le spectateur une grande sympathie pour un mode de vie qui n'est plus, qui avait ses zones d'ombres (on y arrive), mais n'en demeurait pas moins enviable à plus d'un titre.

Faut-il donc y voir un film pro-confédéré ? Etant donné tout ce que j'ai écrit jusque-là, on pourrait le supposer, mais le fait est que le film n'a pas été considéré ou boudé comme tel (son échec s'explique à mon avis par le nombre hallucinant de films à grand spectacle sortis à peu près en même temps). D'ailleurs, si on le pensait, on sera très vite désabusé.

… 'Dat all Men are created equal…

Dès l'instant où il est engagé, Jake est en butte à l'hostilité de nombre de ses compagnons en raisons de ses origines allemandes, à la fois étrangères au Sud et suspectes (la plupart des germano-américains ayant embrassé la cause nordiste, dont le propre père de Jake), notamment par l'énigmatique et dangereux Pitt Mackeson (Jonathan Rhys-Meyers, brillant), qui pourrait bien représenter le pire de la cause sudiste : raciste, violent, belliqueux, rancunier, il est à plus d'un titre le véritable antagoniste du film, le seul, du moins, à constituer un personnage à part entière, au contraire des soldats nordistes.
Pitt constitue aussi un personnage complexe : si les raisons le poussant à combattre pour le Sud sont claires (il est un pur produit de l'ancienne société sudiste), celles qui le poussent à devenir un tueur le sont beaucoup moins. Peut-être faut-il y voir la volonté de Lee de respecter la part de mystère qui entoure tout homme et ses choix, dont nous ne pourront jamais totalement rendre compte. Le réalisateur prend cependant soin de nous donner quelques indices. Ainsi, Pitt prend goût à la violence parce que, semble-t-il, il y est exposé très jeune (la plupart des personnages du film n'ont pas vingt-cinq ans) et dans un cadre d'impunité totale. Son amour du combat le poussera progressivement à poser des actes dépassant la défense de sa patrie. Peut-être faut-il voir en lui le « diable » évoqué par le titre.

Ainsi, à la fin du film, on apprend qu'il a pris la tête d'une bande d'ex-bushwackers qui tue et rançonne les civils, sans se soucier du camp de ces derniers). Et l'avant-dernière scène nous montre Pitt et son dernier fidèle se rendre à Newport, sa ville natale, afin d'y "boire un verre", malgré l'occupation de la ville par les nordistes ; prévenu de ce fait par Jake, il s'en moque ouvertement (« Oh mon Dieu, quel horrible destin ! »), assure crânement qu'il boira à la santé de notre héros quand il sera sur place et part vers une mort certaine, comme s'il voulait en finir avec la violence à moins, au contraire, qu'il ne désirât s'offrir un dernier baroud d'honneur.

En cela, Pitt est un personnage tragique, marqué à vie par la guerre, habitué à tuer pour le plaisir et à régler tout problème par les armes. Sans l'excuser, on peut le voir aussi comme une victime de ce conflit destructeur, et le rapprocher du personnage campé par Christopher Walken dans Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino, avec la filmographie duquel la Chevauchée a beaucoup en commun.

Pitt n'est cependant pas le seul personnage sudiste ambigu. Lors de l'introduction, lorsque Jake fait remarquer à Jack les inconvénients du mariage, il s'entend répondre que "c'est une institution aussi naturelle que l'esclavage". Jack n'est pourtant pas un partisan notoire de l'esclavage (rien dans le film n'indique qu'il en fait un de ses buts de guerre), ni même un raciste ; pas une seule fois il ne manque de respect à Daniel, le traitant toujours comme un égal (il ne le rudoie qu'une seule fois, pour des raisons non raciales). Mais, victime des préjugés de son temps, il peine à voir la perversité de l'esclavage, non par mauvaise volonté, mais par habitude. Il ne lui viendrait pas à l'esprit de remettre en cause une institution qui "fait partie du paysage" à ses yeux, même s'il ne combat pas d'abord pour elle.

C'est là que les propos de Dandrieu trouvent leur limite :

L'esclavage est central, ou plus précisément son devenir et son expansion future, vers l'ouest ou vers les Caraïbes, c'est indéniable. C'est la toile de fond de la crise dite sectionnelle et c'est le cœur du modèle d'organisation économique et social sudiste que la sécession a cherché à sauvegarder. Pas d'esclavage, pas de guerre. La « cause perdue » sudiste a tenté contre toute vraisemblance historique d'exclure l'esclavage du débat en arguant d'une sécession conduite au seul nom du « droit des états » (1).

Vincent Bernard, historien spécialiste de la guerre de sécession.

A cet égard, le sort de Daniel sera pire encore : s'il est pleinement respecté par ses compagnons d'armes au sein de la bande menée par Jack, il est constamment rabaissé dès son entrée dans la bande de Quantrill. Lors du raid de Lawrence, il sera même pris pour cible par l'un d'eux qui le prenait pour un habitant noir de la ville, une autre proie à lyncher.

Ledit raid, comme la bataille qui s'en suit, constitue le tournant du film. Reposant sur des causes ambiguës (la mort accidentelle des épouses de plusieurs combattants de Quantrill), il commence par une charge de cavalerie contre la ville, traversant un camp de soldats nordistes réveillés en sursaut. On s'attend donc à une bataille épique ; il n'en est rien. Les quelques soldats nordistes sont éliminés en quelques instants, et les bushwackers peuvent alors se ruer dans la ville et la piller à leur aise. Jake et Daniel, qui s'attendaient à une véritable bataille, comme ils en avaient l'habitude, en sont pour leurs frais, et errent, hébétés, au milieu des pillages et des tueries. Ils ne sont d'ailleurs pas les seuls : l'un des cavaliers sudistes apostrophe un vieil homme en lui disant : « Où est la guerre ? Où est-elle ? » ; un vieux combattant dit à Jake : « Nous nous attendions à un vrai combat ». Jake surtout, écœuré par l'attitude de Pitt, commence à remettre en question la cause pour laquelle il combat.

Le raid de Lawrence est suivi d'un affrontement contre la cavalerie nordiste, où George Clyde, ami et ancien maître de Daniel, trouve la mort. Cette mort est pour Daniel le tournant que le raid de Lawrence fut pour Jake (couplé, pour ce dernier, avec la mort de son ami un peu plus tôt). Réfugié chez les beaux-parents de Sue Lee Shelley, il confie à Jake que cette mort fut pour lui une libération. Cette révélation étonne Jake comme le spectateur : George n'était-il pas son ami ? Daniel et lui semblaient inséparables, attentionnés l'un envers l'autre, se traitant d'égal à égal. George défend Daniel face à Sue Lee (« Ce n'est pas mon nègre, c'est juste un nègre à qui je confie ma vie tous les jours ») et à Jack (« Tu n'as pas d'ordre à lui donner » dit-il à ce dernier) ; et lors de la mort de George, le chagrin paniqué de Daniel n'est pas feint, puisqu'il entend mettre sa propre vie en danger pour tenter de sauver son ami, et n'en est empêché que par Jake, qui le met de force sur son cheval et le fait évacuer. Alors pourquoi Daniel dit-il de George avec une apparente dureté : « Être son ami ou être son nègre, c'était la même chose » ?

On ne peut que se livrer à des hypothèses. Mais il me semble que Daniel exprime avec simplicité le fait que l'amitié réelle qui existait entre les deux hommes ne pouvait que rester imparfaite. George a affranchi Daniel, mais ne pouvait lui donner la vraie liberté qui l'aurait séparé de son ancien esclave. En cela, le film rejoint cette pensée du philosophe français Jean-Luc Marion, qui disait que le don suppose l'éloignement. Si je donne à quelqu'un, la gratuité de ce don suppose que je m'éloigne de lui pour le laisser profiter de ce que je lui donne. L'affranchissement réel de Daniel ne pouvait donc pas être une véritable libération, quelques fussent les intentions de George. Le fait qu'ils soient restés ensemble (ainsi qu'un certain paternalisme de George, qui parle à la place de Daniel et lui donne son arme quand il y a lieu) montre que la libération de Daniel n'avait pas été pleinement consommée. S'il était affranchi, il n'était pas libre.

Movin' on

Alors, film pro-sudiste ou pro-nordiste ? Eh bien ni l'un ni l'autre. Si le film présente indéniablement une sympathie pro-sudiste, il en montre aussi les limites, notamment le fait que la lutte sudiste protégeait, qu'elle l'ait voulue ou non, une institution perverse.

La longue dernière partie du film, plus calme et posée que le reste, où nos personnages semblent redécouvrir la monotonie de la vie quotidienne, correspond à une prise de conscience que cette guerre n'est plus la leur, et qu'ils doivent s'en éloigner. Pour autant, ni l'un ni l'autre ne se renient (ils ne décident pas, par exemple, de passer dans le camp nordiste) ; cependant, ils se rendent progressivement compte que leur lutte n'était pas d'abord idéologique, mais personnelle. Ils se sont battus pour le Sud, non pour défendre quelque pensée ou doctrine, mais par fidélité envers des proches. Ceux-ci n'étant plus, leur motivation disparaît du même coup, et ils en viennent ainsi à estimer que le temps est venu pour eux de laisser de côté les armes pour passer à autre chose, avant d'être détruits par un conflit de plus en plus méconnaissable. Ceci passera par le mariage et la constitution d'une famille pour Jake (qui évolue ainsi depuis son discours infantile contre le mariage au début du film), et par le départ de Daniel comme homme libre, pour aller rechercher sa mère. Sa liberté retrouvée est symbolisée par le salut qu'il donne à Sue ; alors qu'il avait été contraint par Jack de saluer la jeune femme au début du film, il lui donne un coup de chapeau de son plein gré. Les deux hommes s'adressent l'un à l'autre en toute liberté, s'appelant chacun par son nom complet, avant de partir chacun dans une direction opposée, mettant la guerre loin derrière eux.

C'est peut-être là qu'il faut trouver le vrai sens du film d'Ang Lee : sans prendre parti, tout en confessant une certaine sympathie pour la cause du Sud, mais en montrant aussi les excès de cette cause, Lee appelle les Américains à aller de l'avant, à laisser de côté le souvenir encore vivace de la guerre pour passer à autre chose.

Concluons.

Chevauchée est donc un film complexe, empathique envers le Sud sans dissimuler ce que la société sudiste avait d'odieux. Il faut voir le contraste entre le traitement de Daniel par Pitt et les bushwackers de Quantrill d'une part et les fastes du mariage en début de film, et la vie quotidienne des Brown d'autre part (où un autre mariage est célébré, inscrivant le film dans une sorte de cycle). Lee rend hommage à une société qui n'est plus, et pour laquelle on peut légitimement éprouver de la nostalgie, mais sans en occulter les vices.

On peut aussi voir ce film comme un récit initiatique. Les protagonistes, pour la plupart, ne dépassent pas la vingtaine et sont amenés à passer d'un état d'enfance à l'âge l'adulte, non par la guerre, qui les aura fait vieillir prématurément, mais par une réflexion sur la guerre et ses conséquences, et sur une volonté, par la suite, d'aller de l'avant. C'est ainsi que l'un des personnages passera d'une vision méprisante du mariage, courante chez les jeunes célibataires, à un état marital.

Mais Chevauchée est d'abord un grand spectacle, plein de cavalcades, de fusillades, de paysages superbes, de scènes dures comme de tendres moments, de bassesses comme de beaux sentiments, un Western à mi-chemin entre John Ford et Terrence Malick. S'il n'est pas dénué de défauts, notamment dans le rythme (une ou deux scènes d'action en plus auraient été bienvenues) et dans l'interprétation (je pense surtout à Jewel Kilcher dans son premier rôle), il demeure un film injustement sous-estimé et qui gagnerait à être (re)découvert, pour son regard subtil sur la guerre de Sécession mais surtout, pour sa grande qualité cinématographique.

(1) Mais à l'inverse, il y a aussi un autre biais qui transforme la sécession en une simple trahison, nie toute dimension « nationale » au Sud confédéré, et présente les événements dès l'origine comme une guerre morale d'abolition. Or, elle ne l'est devenue, très progressivement et sous l'impulsion de Lincoln, qu'en 1862-1863, largement d'ailleurs par opportunisme (affranchir les esclaves revenait à priver le Sud de sa main d'œuvre et de son « capital »). En 1861, l'esclavage n'est pas directement et immédiatement menacé (seulement, par la force des choses et le poids politique respectifs des deux parties du pays, son expansion) et l'abolitionnisme militant est très faible au Nord. Plus rares encore sont ceux qui envisagent une guerre fratricide pour libérer les noirs; et pour beaucoup « libération » signifie d'ailleurs « déportation » plus ou moins massive et volontaire des anciens esclaves vers l'Afrique (Libéria).

Cf cette excellente interview.

CréatureOnirique
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le 8 mai 2022

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