L'Arme fatale
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Nous sommes en 1949. Kurosawa, qui a alors signé, et ce depuis déjà de nombreux films et pour encore de nombreux, avec le studio Toho, qui fera sa légende, réalise un film dont on n'imaginait pas, 67 ans plus tard, qu'il pourrait avoir un tel impact.
Avec Chien Enragé Kurosawa pose sans le savoir (ou alors en toute conscience de son génie) les bases du film noirs, n'hésitant pas à emprunter aux plus occidentaux leurs caractéristiques stylistique et scénaristiques : couple de policier, sorte de buddy movie avant l'heure, intrigue simple, mais que Kurosawa va pousser dans ses retranchements, vers la folie, la paranoïa, l'horreur.
Les deux comédiens principaux, que l'on retrouvera avec bonheur dans une grande partie de la filmographie du réalisateur, sont ici merveilleux ; que ce soit Toshiro Mifune qui joue avec merveille le jeune policier, le bleu, fraîchement arrivé et rapidement placé face à la terreur paranoïaque que ce métier, aux responsabilités accablantes, peut inspirer ou Takashi Shimura, le flic expérimenté, sombre et silencieux, comme blasé par un métier qui ne lui fait plus trop rien mais assoiffé pour autant d'un profond désir de justice. Mais si Kurosawa centre son intrigue sur ce duo, il n'en reste pour autant pas là et multiplie le nombre de personnages, pour donner à cet anodin postulat de départ une véritable ampleur qu'il veut démesurée. Un simple vol de pistolet mènera ces personnages là où nul n'aurait pu deviner qu'ils iraient.
Si le réalisateur parvient à donner cette ampleur prophétique, cette ambiance lourde à son film (on ne sera pas étonné d'y retrouver un peu de ce que Seven avait pu nous faire, la violence en moins) c'est grâce à son style d'image, résolument moderne, et à ses plans remarquables, comme lors de cette immense scène, longue et insoutenable, durant laquelle Kurosawa nous plonge dans une foule fourmillante d'où le danger pourrait surgir à tout moment, sorte de trip halluciné et paranoïaque. On retiendra aussi la danse lascive et moite de ces gogo danseuses d'un club volontairement exotique, la déchirure familiale à laquelle est forcé d'assister notre jeune policier, ou bien cette avant dernière scène, pause dans le récit, retour à une animalité silencieuse, à une nature douce, au milieu des fleurs.
Kurosawa livre ici un film trop méconnu et pourtant majeur dans sa filmographie, digne hériter autant que précurseur des polars noirs occidentaux, jonglant avec des codes aujourd'hui faciles mais pour l'époque bluffants. Deux heures denses, poisseuses, lumineuses, photographiques, rythmées jusqu'à l'excès et qui ne finissent que lorsque tout est dit.
Ni plus ni moins.
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le 10 avr. 2016
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