Première oeuvre de Fleischer, qui a déjà tout d'un grand. Comme bien d'autres (Mann, Mankiewicz, Huston...), ce dernier a commencé par les films de studio, connus pour leur économie des moyens, qui reposaient donc principalement sur la qualité du scénario et des acteurs, deux éléments que je trouve réussis dans ce film. A priori le sujet de l'histoire, le divorce, n'a rien d'attrayant. Mais le rythme est bien géré, la structure impeccable, et le script est efficace et va droit au but (découverte de l'infidélité, tribunal et divorce, la vie d'après). Ensuite, le point de vue est original : toute la dramaturgie repose via les yeux d'une petite fille, interprétée avec justesse par une adorable actrice. Et surtout en abordant un thème qui apparemment n'a rien à voir avec ses films futurs lorgnant vers le cinéma de genre, Fleischer avait déjà ce style si caractéristique, identifiant réalisme et cruauté (plus ou moins déguisée), dynamitant ainsi la trame apparemment classique ou consensuelle sur laquelle il s'appuie.
A la première scène, rien ne préfigure ce qui va arriver ou presque. Le bonheur règne dans le trio. Sont perceptibles la candeur et la sensibilité de la petite fille qu'aucun malheur ne semble pouvoir atteindre. Bien que la réalisation soit carrée et sans fioritures, on peut sentir que les changements de situation sont accompagnés avant tout par les regards. D'abord celui de la mère qui ne semble pas si heureuse à l'idée de revoir son mari, ensuite celui de la fille effrayée découvrant l'infidélité, et enfin celui du père déçu de la tournure des choses. Ce qui est surtout saisissant, c'est la manière dont les enfants sont utilisés, placés au centre du récit. Comme de grandes personnes en devenir, ils devinent ce qui se trame réellement, mais en balançant la vérité des faits sans tact et mêlée aux jeux d'enfants, créant un rare sentiment de malaise pour ce genre de personnages. Comme John Huston, Fleischer était ainsi un as de la traduction des relations humaines.
D'une facture apparemment classique, j'ai trouvé qu'il s'agissait d'un bien beau drame humain impressionnant de maîtrise malgré sa courte durée. Tous les enjeux sont identifiables sans tomber dans le manichéisme. Ainsi, on peut voir que les parents ne sont pas directement responsables de la faillite de leur mariage, l'une étant malheureuse, et l'autre peu présent à cause de son travail. Et si on pouvait croire au début que la mère avait le mauvais rôle, l'équilibre est rétabli assez rapidement par la persévérance de cette dernière à élever son enfant, et l'absence du père et donc son incapacité à avoir la garde, jusqu'à ce qu'ils soient au même niveau en se débarrassant plus ou moins d'elle à cause d'une nouvelle vie qui ne lui laisse guère de place, justifiant ce désistement comme un bien-être pour elle évidemment illusoire. La mise en scène soutient d'ailleurs bien ce triangle boiteux (à chaque fois qu'une tension est palpable, le trio est systématiquement non uni dans le plan, laissant parfois l'un d'eux hors-champ), et par une inversion de points de vue qui se fait durant la seconde partie et ne laisse aucune chance aux parents. Au final seule la jeune fille attire notre sympathie, entraînée vers le bord d'un gouffre creusé par l'individualisme de ses parents. Une sensibilité focalisée qui n'est jamais forcée grâce à un réalisme relationnel à toute épreuve et d'une sombre modernité.
De nombreux pivots dramatiques marquent cette bobine riche en petits rebondissements émotionnels malmenant le spectateur. J'en retiens deux. D'abord le tribunal donnant lieu à une entrée bouleversante de la jeune fille, loin des lieux protégés d'aujourd'hui où la vérité prime ici sur le tact comme avec les enfants. Et enfin le dernier lieu d'action, triste et logique à la fois. L'intensité de ce moment ultime est amplifiée par un son de carillon qui rappelle un cadeau offert, signe de l'amour paternel, mais plus largement, du bonheur d'être dans son chez-soi, dorloté comme si ça allait durer pour toujours. Le fil directeur du film est donc de malmener l'habitude et la quiétude d'être aimé, et faire le saut violent à l'âge adulte, stade où enfin ces enfants abandonnés de leurs parents pourront enfin vivre, mais déjà brisés, désenchantés par la situation qu'ils ont vécu, ce qui nous conduit à un choc émotif et une fatalité pressentie qui n'ont pour moi d'égal que Les jeux interdits, autre drame de l'enfance. Un film sans gros bémols, mais qui n'a évidemment pas l'ambition des meilleurs films de Fleischer, quoique touchant par sa dimension délicate et personnelle.
Bref, sans être un chef-d'oeuvre, voici un drame rondement mené sur le divorce via les yeux d'une jeune fille, et les nouvelles relations qui se nouent. A la fois bien rythmé, structuré, et bouleversant, interprété par une actrice-enfant très douée.