Le film date de 1972 et il est signé Mauro Bolognini, spécialiste italien des drames bourgeois. En plein dans les « années de plomb » (lutte armée par des groupes d’activistes, comme « La fraction armée rouge » en Italie), il propose une réflexion ambitieuse dont les visées sont à la fois politiques, sociales et philosophiques. Quelles sont les limites pratiques à l’exercice du pouvoir ?
Le film commence par une émeute (dont certaines situations illustrent le générique), dans un quartier romain. Les manifestants sont des étudiants, tous beaux et jeunes, qui agissent en concertation avec des ouvriers. Ce qui les rapproche, leurs convictions politiques (à gauche). Face à eux la police. La détermination est telle que l’affrontement est inévitable. Il est violent et le bilan est terrible avec deux morts, un de chaque côté. C’est là que les choses se compliquent sérieusement, car ces deux morts n’ont pas le même poids. Côté étudiant, le mort est rapidement considéré comme une victime des circonstances. Les policiers qui mènent l’enquête ne voient que la mort d’un des leurs, qui ne doit pas rester impunie. Il faut un coupable et celui-ci ne peut être que du côté des manifestants.
Quelques-uns ont été arrêtés. Parmi eux, Massimo (Max) fait un coupable idéal (il se défend peu). Il fait partie du groupuscule « Lotta continua » à l’origine de la publication de « La cause du peuple ».
L’affaire est donc déjà un sac de nœuds quand un juge d’instruction est chargé du dossier. Le juge Aldo Sola (Martin Balsam) se veut inflexible, à la recherche de la Vérité et au service de la Justice. A sa disposition, les témoignages des uns et des autres. Seulement, pour que la Vérité émerge, il faudrait que chacun agisse dans la plus scrupuleuse honnêteté, en oubliant les intérêts personnels. Or, on sait bien que, dans les faits, c’est quasiment impossible. Pour s’approcher de la Vérité et donc pour servir la Justice du mieux qu’il peut, le juge d’instruction en est réduit à interroger les uns et les autres pour se faire son intime conviction.
Sola ne le sait pas au moment où il commence son instruction, mais Fabio, son propre fils a participé à la manifestation. Comment Sola pourra-t-il ménager son entourage familial, dont son épouse (Valentina Cortese), tout en poursuivant son investigation en toute honnêteté ?
Le scénario est bien ficelé, puisqu’il fait émerger des éléments importants au fur et à mesure. Le spectateur comprend rapidement qui est responsable de la mort du policier. Si la situation de Sola est délicate, celle de son fils l’est tout autant sinon plus. Fabio pourrait faire des révélations capitales et calmer le jeu. Libérer sa conscience permettrait la libération de Max qui n’est autre que le nouvel ami de la belle Carla (Petra Pauly) dont il reste certainement amoureux. Mais ses copains qui dirigent « Lotta continua » lui conseillent de ne rien dire, car ils considèrent que Max a un alibi irréfutable, ayant été évacué avec d’autres personnes dans un panier à salade avant la mort du policier. Pour provoquer la libération de Max détenu à tort, Fabio et ses amis vont utiliser les moyens à leur disposition, sa situation familiale pour Fabio et « La cause du peuple » pour les étudiants.
Le film est donc intéressant par la réflexion qu’il amène, sur le pouvoir, l’indépendance de la justice, le degré de conscience avec lequel les uns et les autres agissent, la différence entre les faits et la connaissance qu’on peut en avoir, la façon de s’approcher de la vérité et la possibilité (impossibilité ?) de rendre une justice parfaitement équitable, la façon dont les sentiments (fraternels, amoureux, familiaux) interagissent avec l’enquête. La conclusion est d’ailleurs assez édifiante et elle ne peut que laisser un goût amer. L’idéal de justice est franchement malmené, ce que tous les faits amènent de façon assez logique. C’est malheureux à dire, mais que le juge s’en indigne à ce moment de sa carrière fait une sale impression (sans compter son faux air de Dominique Strauss-Kahn, mais Bolognini ne pouvait pas imaginer l’impression que cela donnerait à un spectateur d’aujourd’hui). Comment Sola s’est-il arrangé avec tout ce qui entrave l’action de la justice pendant toutes ces années ?
Ce qui déçoit dans ce film, c’est qu’avec un tel scénario, Bolognini se contente de filmer scrupuleusement. Une histoire pareille aurait mérité un traitement cinématographique plus recherché. Même la BO signée Ennio Morricone fait datée, avec ses coups d’archets au violon (prise de son médiocre) qui sonnent comme une ébauche de rengaine de spot publicitaire. C’est professionnel, mais pas plus. Autre regret, de la classe dirigeante seule la famille du juge intervient. On est certes au cinéma, mais le raccourci est regrettable.
Le titre laisse également perplexe, puisque l’homicide dont il est question intervient au tout début du film. Le scénario s’attache surtout à ce qui suit l’homicide, en délaissant complètement l’autre mort violente de la manifestation. C’est probablement quelque peu injuste (pas de quoi culpabiliser, puisque la justice absolue est une vue de l’esprit, tout le film le sous-entend), mais finalement on peut déplorer que cette mort n’intéresse guère plus Bolognini que la police.