Comment dépasser la contrainte ? La forme du film découle des conditions singulières de production. Ali Asgari et Alireza Khatami sont iraniens et doivent obéir à des impératifs et interdictions liés au régime en place.

Représentation des femmes, de la religion, du pouvoir iranien, j’en passe et des plus restrictifs.

La forme, donc, est celle d’un film à sketchs qui se compose de portraits sous formes de séquences en plan fixe.

Comme des segments d’une seule et même ville, d’un seul pays.

Si on observe les duos d’interlocuteurs du film, on se rend compte que la diversité est de mise. Deux hommes, une mère, sa fille et une vendeuse, deux femmes, deux hommes, deux hommes, une adolescente et une femme, une vieille femme et un policier, deux hommes et à nouveaux deux hommes. Pour autant, des schémas se répètent. Les oppressions subies par les hommes sur la base des lois islamiques sont autant mises en avant que celles subies par les femmes. Et pour cause, les rapports de force vont toujours dans le même sens. Un personnage A, qui se situe dans le hors-champ, parfois hors-champ caméra, parfois désaxé, est toujours dominant. L’opprimé, le personnage B, celui qui est invisibilisé par les règles sociales et par la situation qu’il vit, est au centre du cadre, mis en lumière. B cherche toujours à faire valoir ses droits face à A, représentant de l’administration iranienne.


Des situations de la vie quotidienne à Téhéran comme autant de déclinaisons absurdes, de moments étirés jusqu’à la limite pour mieux dénoncer les réalités que vivent les iraniens. Jusqu’à la limite, là est l’intérêt. Un entretien d’embauche fini en mime d’ablution, une demande de permis de conduire en déshabillage forcé. Sous couvert de sketchs, la contrainte devient une force.

Un exemple ? Un exemple. La situation dans laquelle se trouve une iranienne à qui les autorités ont confisqué son outil de travail, sa voiture puisqu’elle est chauffeuse de taxi. Pourquoi ? Une caméra a filmé un individu aux cheveux longs qui les avait découverts à l’intérieur du véhicule. Par les dialogues, l’évolution de la situation crée une logique cumulative.

D’abord, la jeune femme se demande pourquoi. Ensuite, la notion d’espace privé est remise en question. Puisque l’on peut voir à travers les fenêtres de l’auto, ce n’est plus privé. Enfin, son interlocutrice cherche à faire venir son frère aux cheveux longs car on ne peut pas savoir si c’est une femme que l’on voit dans la vidéo. D’abord, on se demande ce qu’il se passe, ensuite on comprend et enfin, cerise sur le gâteau, l’absurde fonctionne à rebours.

Toutes les situations présentées, toujours en plan fixe, suivent cette logique de couches. Les plans sont d’ailleurs travaillés pour que les détails attirent le regard, que le second plan vive autant que le premier.


Un segment met en scène un scénariste et réalisateur cherchant à faire financer son film. Il est un exemple des plus évocateurs. Du scénario que le personnage vient présenter, le spectateur ne sait initialement rien. Puis, il apprend qu’il est adapté de la vie du réalisateur. Il a tout mis dans cette version du scénario. Petit à petit, ce dernier apprend que rien ne va dans cette mouture. Rien n’est conforme à la politique culturelle du régime. C’est là que toute la force de l’absurde fait effet. Révélant le désespoir, réel, que vivent les iraniens.


Évidemment, les femmes sont centrales. Je ne peux regarder ce film sans un regard occidental. C’est un fait. Ainsi, mon attention s’est portée particulièrement aux personnages féminins. Lesquelles doivent obéir à des règles strictes concernant leur statut même de femme. Les scènes où elles sont au cœur du cadre sont suffisamment variées pour toucher du doigt des thématiques universelles. A cet endroit, le film parvient à dépasser son postulat. A travers les cas particuliers de Téhéran, résonne le monde. Comment ne pas voir dans la danse de cette fillette la candeur des enfants du monde entier ? Et dans cet entretien d’embauche dans l’intimité d’un salon les potentielles dérives que toutes les femmes pourraient subir ? La forme du film à sketchs est sa force. Condenser pour mieux ouvrir vers les possibles. Isoler des parties d’un tout pour mieux les relier.

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le 22 mars 2024

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